jeudi 14 novembre 2013

Le déficit d'immigration qualifiée de la France rejaillit sur sa compétitivité

Les auteurs d'un rapport remis jeudi à Jean-Marc Ayrault préconisent une simplification des procédures pour permettre aux étudiants étrangers d'accéder au marché de l'emploi.




Avec environ 10% des titres de séjour accordés pour le travail, la France souffre d’un fort déficit en matière d’immigration économique. Depuis des décennies la France a privilégié les voies de l’immigration familiale, mais en «oubliant» qu’une fois dans l’Hexagone, ces immigrés devaient travailler pour s’intégrer. Manuel Valls a, depuis son arrivée place Beauvau, répété à plusieurs reprises sa volonté de changer cette situation. Au printemps, un débat sans vote a eu lieu au Parlement sur les enjeux de l’immigration économique – le premier du genre.

Au sein de cette immigration, les étudiants étrangers représentent un fort potentiel. Après l’épisode désastreux de la circulaire Guéant,supprimée par Manuel Valls en mai 2012, la France tâche de rattraper son retard et de favoriser l’intégration de cette population. Dans un rapport du Commissariat général à la stratégie et à la prospective remis jeudi à Jean-Marc Ayrault, des chercheurs préconisent une simplification des procédures pour les étudiants étrangers. Nicolas Charles et Cécile Jolly, coauteurs (avec Frédéric Lainé) de ce rapport, analysent pour Libération les forces et les faiblesses du modèle français.

Où situez-vous l’attractivité de la France par rapport au Royaume-Uni et à l’Allemagne ?
Sur les dix dernières années le nombre d’étudiants étrangers a été multiplié par deux au Royaume-Uni, alors qu’il a très légèrement progressé, ou stagné, en France et en Allemagne, qui restent malgré tout leaders parmi les pays non-anglophones. L’attractivité de la langue anglaise joue un rôle très fort, mais aussi le prix des études qui est perçu comme un reflet de la qualité de l’enseignement. Les universités et les grandes écoles anglaises ont développé une logique marchande, appuyée par une autonomie financière, qui garantit une meilleure expérience et un service de très grande qualité aux étudiants.

La France est, écrivez-vous, le pays qui offre le plus de stages professionnels pendant les études. Est-ce un atout ?

Le stage, qui nous paraît très commun (le nombre de stages en entreprise a été multiplié par deux entre 2006 et 2012), n’est pas culturellement perçu de la même façon. Pour un étudiant chinois, par exemple, cela ne sera pas forcément vu comme un atout spécifique. En revanche les stages permettent de mettre en avant l’idée selon laquelle les diplômés de l’enseignement supérieur en France trouveront plus facilement du travail que les immigrés qualifiés qui arrivent directement en France. Cette relation entre les entreprises et les universités a un impact sur les sources d’immigration.

Quels sont les atouts du modèle français lors du passage des études au marché de l’emploi ?

La relation formation-emploi dont nous venons de parler. Mais aussi la force du diplôme initial. En France, un diplôme reconnu par l’éducation nationale est bien identifiable par les recruteurs. C’est un atout même si les étudiants étrangers ont, de ce fait, besoin de se repérer dans le dédale des filières porteuses, ce qui n’est pas forcément évident. Pour les accompagner, le rôle de la diaspora et les contacts personnels qu’ils peuvent nouer jouent un rôle.

Et les faiblesses du modèle français ?

C’est justement les difficultés d’intégration des étudiants étrangers qui, en dépit des possibilités de stage, connaît un plus fort taux de chômage que leurs homologues français. Plusieurs raisons l’expliquent: la connaissance des cycles d’études, par exemple on sait que les étudiants marocains se débrouillent bien en raison de leur intégration plus facile. Les spécialités choisies, par exemple les sciences et l’ingénierie offrent plus de débouchés en matière d’emploi. Et puis la discrimination, bien sûr joue un rôle même si c’est très compliqué à prouver.

Existe-t-il des freins au recrutement des étudiants étrangers ?

Oui, et nous préconisons un allégement de certaines contraintes. Par exemple la difficulté à obtenir un permis de séjour qui, au terme de vos études, vous permet de chercher du travail; ou l’opposabilité de l’emploi, c’est-à-dire la possibilité pour l’administration de refuser un permis de travail au motif qu’un secteur professionnel ou une zone géographique sont déjà trop chargés. Notre idée est qu’il faut simplifier ces conditions d’accès au travail, pour l’administration, les étudiants et les employeurs.

La France a-t-elle besoin de davantage d’immigration économique ?

A partir d’une logique démographique, a priori ce n’est pas évident, car notre population active croît. Mais la structuration de notre immigration fait que notre solde d’immigrés qualifiés, parmi les 200 000 entrants sur le sol français chaque année, est beaucoup moins important qu'en Allemagne ou au Royaume-Uni. Nous avons en France un déficit d’immigration qualifiée qui rejaillit sur la compétitivité de notre économie. Nous pouvons corriger la tendance.

Source : Libération, 14/11/13

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