mercredi 22 octobre 2014

France : indicateurs



Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014

Une baisse d'impôts à problème

La suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu fragilise encore plus cet impôt et ne bénéficiera pas aux plus modestes.

C'est un peu un cadeau empoisonné que Manuel Valls a fait aux ménages modestes, en annonçant le 17 septembre la suppression de la première tranche de l'impôt sur le revenu (IR), suite à la censure par le Conseil constitutionnel des baisses de cotisations salariales initialement prévues à proximité du Smic. Cette mesure va certes alléger la note fiscale de près de 9 millions de ménages pour un coût estimé à 3,3 milliards d'euros, et donc donner une bouffée d'oxygène à leur pouvoir d'achat. Cela devrait même permettre à 3 millions d'entre eux d'échapper totalement à l'impôt sur le revenu, mais risque aussi de fragiliser un peu plus l'un des rares impôts progressifs de notre système fiscal et ne bénéficiera pas aux plus pauvres, déjà exonérés de cet impôt.

Concrètement, la première tranche d'imposition, celle qui taxe actuellement à 5,5 % les revenus compris entre 6 011 euros et 11 991 euros va disparaître. Le seuil de la deuxième tranche devrait en revanche être abaissé de 11 991 à 9 690 euros. Sans cet ajustement, la suppression de la première tranche aurait également bénéficié aux plus hauts revenus : un célibataire qui gagne 70 000 euros, par exemple, est actuellement imposé à 5,5 % sur ses revenus compris entre 6 011 et 11 991 euros ; puis à 14 % de 11 991 à 26 631 euros et 30 % de 26 631 à 70 000 euros. Avec la réforme, il ne paiera plus d'impôt sur ses revenus compris entre 6 011 euros et 9 690 euros, mais sera prélevé à 14 % au-delà de cette somme. Enfin, pour éviter un effet de seuil trop important, avec une première tranche à 14 %, le système de décote qui existe déjà sera amélioré.

Peau de chagrin

Le premier inconvénient de cette mesure, c'est qu'elle ne bénéficiera pas aux plus modestes, c'est-à-dire ceux qui sont déjà exonérés d'impôt sur le revenu. Et ils sont nombreux : plus d'un foyer sur deux. De plus, en réduisant encore le nombre de contribuables, la suppression de la première tranche risque de fragiliser un peu plus un impôt dont les recettes sont déjà tombées de 4,5 % du PIB au début des années 1980 à 3,2 % en 2013 (contre 6,8 % pour la TVA ou 4,4 % pour la CSG) : moins l'assiette de l'impôt sur le revenu sera large, plus cet impôt risque d'être contesté par la minorité qui continuera à le payer. Pour renforcer le consentement à un impôt, mieux vaut en effet que le plus grand nombre possible de personnes l'acquitte, même symboliquement. Cet impôt peau de chagrin repose en tout cas la question de son éventuelle fusion avec la CSG, un serpent de mer du débat public français.

Quant aux plus modestes, il aurait été plus efficace en termes de redistribution, à montant équivalent, d'augmenter les prestations sociales qu'on leur verse. Mais la volonté de limiter les dépenses à tout prix a fait préférer la voie des baisses d'impôts.

Laurent Jeanneau
Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014

mardi 21 octobre 2014

Berlin, nouvelle capitale de l’Europe

La trop grande place de l’Allemagne pourrait menacer l’avenir de l’Union.

La chancelière Angela Merkel et son ministre des Finances Wolfgang Schäuble à Berlin, le 22 mars 2013. (Photo Soeren Stache. AFP)

Berlin plutôt que Bruxelles : après le Premier ministre, Manuel Valls, les 22 et 23 septembre, c’est au tour des ministres des Finances et de l’Economie, Michel Sapin et Emmanuel Macron, de faire le voyage en Allemagne pour essayer de convaincre la chancelière Angela Merkel de la pertinence de la politique économique et budgétaire française. Aucune de ces éminences de la République n’a cru bon de se rendre à Bruxelles, alors que c’est là qu’est censée être gouvernée la zone euro. La capitale belge n’est-elle pas le siège de la Commission et de l’eurogroupe, l’enceinte qui réunit les ministres des Finances, dont l’Allemagne est l’un des 18 membres ?

Glissement. En ignorant Bruxelles, Paris reconnaît juste que la réalité du pouvoir est désormais à Berlin. Une étrange capitulation qui n’est pas sans risque pour l’avenir de l’Europe, redoute-t-on à Bruxelles. C’est à la faveur de la crise bancaire de 2008, qui a dégénéré en crise de la dette publique dans la zone euro, que ce glissement de pouvoir a eu lieu. L’Allemagne avait certes des atouts pour s’imposer : elle seule jouit d’une forte confiance des marchés - ceux-ci recherchant toujours le mark derrière l’euro -, ses finances publiques sont en ordre et son économie apparaît comme solide. Mais ce sont surtout les hésitations de la chancelière qui l’ont servi : il est clairement apparu, au fil de la période 2009-2012, que l’euro n’avait qu’une viabilité chancelante sans la garantie allemande. Il a donc fallu en passer par toutes les exigences de Berlin (de la «règle d’or» au renforcement du «pacte de stabilité» en passant par les limites du Mécanisme européen de stabilité ou de l’union bancaire), motivées à la fois par une forte méfiance à l’égard de ses partenaires et par des contraintes politiques et juridiques internes, pour mettre en place un minimum de solidarité financière au sein de la zone euro. Cette architecture a fait du gouvernement allemand l’arbitre des élégances économiques et budgétaires de la zone euro, chacun de ses partenaires ayant pu toucher du doigt ce qu’il en coûtait de ne pas bénéficier de la confiance de Berlin.

Une domination qui est aussi due aux faiblesses françaises, souligne Sylvie Goulard, députée européenne libérale : «La France n’a jamais été capable de tenir les promesses faites à ses partenaires ce qui a nui à sa crédibilité. C’est nous qui avons créé un vide politique.» Et comme la nature a horreur du vide, l’Allemagne occupe l’espace laissé libre par l’Hexagone. Ce n’est pas un hasard si les commissaires du collège présidé par Jean-Claude Juncker - qui devrait prendre ses fonctions le 3 novembre - choisissent massivement du personnel allemand : ils veulent avoir «une ligne ouverte avec Berlin», explique un haut fonctionnaire européen.

«Rupture». Ainsi, le cabinet du président de la Commission est dirigé par un chrétien-démocrate allemand, Martin Selmayr. Même si les équipes ne sont pas encore complètes, on compte déjà 5 chefs de cabinets et 3 adjoints, contre seulement un «chef cab» français (Olivier Bailly chez Pierre Moscovici) et un adjoint. Parmi les conseillers, le déséquilibre est le même. Dans l’administration aussi : 8 directions générales sont aux mains des Allemands contre 4 pour les Français. La France a dû batailler ferme pour garder la direction du Service européen d’action extérieure que la chancelière avait réclamé pour prix de son accord à la désignation, le 30 août, de l’Italienne Federica Mogherini comme ministre des Affaires étrangères de l’UE. Dans les autres institutions, le «leadership allemand est le même», note un diplomate européen. Les secrétaires généraux du Conseil des ministres (l’ex-conseiller diplomatique de Merkel Uwe Corsepius) et du Parlement (Klaus Welle) sont allemands. Le Parlement est quasi devenu la troisième Chambre allemande : c’est de Berlin qu’a été annoncée la reconduction comme président de l’Assemblée du social-démocrate Martin Schulz…

Les Allemands, qui bénéficient de 96 députés, contre 74 pour les Français (et qui n’ont pas élu 24 députés du FN), pèsent de tout leur poids : outre la présidence, ils ont obtenu 2 vice-présidences (une pour la France) et 5 présidences de commission (2 pour la France). Surtout, on compte 32 coordinateurs allemands (les postes clés qui assurent la répartition des tâches) contre 8 Français… Il faut rappeler aussi que la chancelière a réussi à imposer le prochain président de l’Eurogroupe, le ministre espagnol des Finances (le PP étant l’allié privilégié de la CDU), ainsi que le président du Conseil européen, le libéral polonais Donald Tusk.

«On s’approche du point de rupture, craint un haut fonctionnaire européen. Cette domination d’un seul est trop éloignée de l’idéal européen.»«La place qu’occupe l’Allemagne devient insupportable», renchérit un eurodéputé conservateur français :«Il n’y a pas que nous qui nous plaignions, d’autres nationalités trouvent que c’est trop. Le couple franco-allemand ne peut pas être remplacé par Berlin. Une Europe allemande, c’est courir le risque du rejet.»

Libération, 21/10/14
De notre correspondant à Bruxelles JEAN QUATREMER

lundi 20 octobre 2014

Les étudiants étrangers vont être mieux traités

Oubliée la circulaire Guéant de 2011. Les étudiants étrangers, désormais mieux considérés, vont bénéficier de nouveaux droits. Pour essayer de les attirer dans l'Hexagone.

Fin 2011, de nombreux étudiants étrangers étaient devenus persona non grata en France. Ils avaient beau avoir un master en poche, voire une promesse d'embauche dans une grande entreprise, rien n'y a fait. Plusieurs milliers d'entre eux ont reçu une OQTF, une obligation de quitter le territoire français. C'était le résultat de la circulaire Guéant-Bertrand [1], parue le 31 mai précédent. "Une infamie pour l'image de la France, doublée d'une hérésie économique", selon Julien Blanchet, président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). La circulaire a été en partie amendée en janvier 2012 [2], mais le mal était fait. Le nombre de nouveaux étudiants étrangers a chuté de 10 % en un an.

"Le 31 mai 2012, moins d'un mois après notre arrivée au pouvoir, nous avons abrogé la circulaire Guéant [3], rappelle Geneviève Fioraso, secrétaire d'Etat chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. L'accueil d'étudiants étrangers est primordial pour la diffusion de la culture française. Il se crée des liens profonds, affectifs, durant les études, qui sont des atouts pour la réussite des étudiants étrangers, mais aussi des relais de croissance pour notre économie, en particulier pour nos exportations.""Nous formons des élites qui mettent leurs compétences au service de l'économie française ou reviennent dans leur pays et sont autant d'ambassadeurs de la France", abonde Khaled Bouabdallah, président de la Communauté d'universités et d'établissements de Lyon Saint-Etienne.
Des problèmes persistants

Moins fréquents, les problèmes n'ont cependant pas disparu. En octobre 2012, Juan, doctorant en droit public à Evry, obtient un rendez-vous en décembre à la préfecture de l'Essonne, soit après l'expiration de son titre de séjour annuel. "Mon interlocutrice m'a demandé un relevé de notes et une attestation d'assiduité, lesquels n'existent pas pour les doctorants, raconte le jeune Mauricien. Elle a refusé le renouvellement de mon titre de séjour parce que mon visa étudiant de 2006 n'était plus à jour, alors qu'il avait été remplacé par un titre de séjour renouvelé chaque année." Juan saisit le tribunal administratif de Versailles, qui lui donne raison en avril 2014, seize mois plus tard. Seize mois sans pouvoir s'inscrire en 3e année de doctorat. "Précédemment, je n'avais pas eu de problèmes avec la préfecture de Paris, souligne-t-il. Il faut harmoniser le traitement des demandes d'une préfecture à l'autre."

Un constat partagé par Amadou, étudiant sénégalais en littérature et civilisation des pays de langue anglaise, arrivé en France en 2010 à l'université de Perpignan. "En septembre 2012, j'ai sollicité un nouveau renouvellement de mon titre de séjour à la préfecture des Hauts-de-Seine, pour poursuivre ma licence à Paris avec une option sciences politiques. On m'a demandé de retourner au Sénégal pour refaire tout mon dossier. J'ai finalement déposé une demande à la préfecture de Seine-Saint-Denis et obtenu un nouveau titre." Mais le jeune homme s'est retrouvé sans-papiers pendant quelques mois.
Simplifier l'accueil

Depuis près de deux ans, l'université de Paris VIII, où 7 300 étrangers de 180 nationalités sont inscrits, a mis en place un guichet unique, regroupant plusieurs intervenants et traitant notamment du renouvellement des titres de séjour. "Nous avons un partenariat efficace avec la préfecture de Saint-Denis, qui dépêche périodiquement un fonctionnaire sur le campus, et nous espérons en nouer un avec celle de Paris, indique la présidente, Danielle Tartakowsky. Les services rendus par ce guichet unique concernent aussi le logement et la couverture sociale." Pour Julien Blanchet, de la Fage, ce dispositif "facilite beaucoup la vie des étudiants étrangers et constitue une démarche moins stigmatisante qu'à la préfecture". A ce jour, 24 guichets uniques sont opérationnels. "Nous favorisons la systématisation de ces structures, insiste Geneviève Fioraso, notamment à l'occasion des regroupements universitaires." Toutefois, les préfectures ne sont pas toutes enclines à dépêcher des fonctionnaires sur un campus, même de manière épisodique, compte tenu de leurs effectifs qui fondent.
Répartition des étudiants étrangers en France en 2012 selon la région d'origine, en %
Principaux pays d'origine des étudiants étrangers en France, en nombre d'étudiants en 2012

Le projet de loi sur le droit des étrangers en France, présenté en Conseil des ministres le 23 juillet dernier [4], devrait cependant améliorer sensiblement les choses. Après un an de cursus en France, les étudiants étrangers pourront demander un titre de séjour pluriannuel pour achever leur licence, entamer un master ou un doctorat. Ce qui devrait aussi désengorger les préfectures (il y a aujourd'hui 5 millions de passages par an en préfecture pour 2,5 millions d'étrangers titulaires d'une carte de séjour, dont 271 000 étudiants, selon le ministère de l'Intérieur). "Il s'agit d'une grande avancée, qui correspond à une revendication historique, insiste Salah Kirane, responsable du dossier à l'Unef. Les étudiants étrangers ne sont plus considérés comme des immigrés devant renouveler annuellement leur titre de séjour et regardés avec suspicion, mais comme des futurs talents qu'il faut bien accueillir et qui veulent s'insérer dans la vie active. Nous serons toutefois vigilants lors des débats parlementaires, pour éviter le renforcement des contrôles, qui accroîtrait le risque de traitement différencié dans les préfectures."

Pas de changement prévu, en revanche, en matière de conditions de ressources. "A l'arrivée en France, puis chaque année, on doit disposer d'un garant dans l'Hexagone et de 7 685 euros sur un compte bancaire, explique Bilal, étudiant algérien à Paris XIII, qui entre en 3e année d'anglais. C'est très dur de mobiliser une telle somme quand le salaire minimum ne dépasse pas 150 euros en Algérie. Donc on s'endette et on fait appel à la solidarité familiale pour alimenter notre compte, se loger…" Augmenté de 25 % en septembre 2011, le seuil de 7 685 euros n'a pas été réduit depuis. Pour autant, les frais d'inscription pour les étudiants étrangers restent particulièrement faibles dans l'Hexagone. La hausse envisagée un moment par Bercy, pour les étudiants en provenance de pays hors Union européenne et pays francophones, a finalement été abandonnée.
Une insertion professionnelle facilitée

Avant même l'examen du projet de loi, un décret du 18 août dernier a assoupli les conditions de séjour des étudiants étrangers afin de favoriser leur insertion professionnelle : ils ne doivent plus obligatoirement demander une autorisation provisoire de séjour (APS) quatre mois avant l'expiration de leur titre. Ce qu'ils oubliaient couramment de faire à temps, les plaçant dès lors en situation difficile. "Faute d'APS, l'entreprise doit publier une offre d'emploi pendant trois semaines et démontrer que les éventuels candidats inscrits à Pôle emploi ne convenaient pas", relève Stéphane Halimi, avocat spécialiste de ces questions chez Héritier & Halimi.

Lorsque l'administration refuse l'autorisation de travail, son cabinet introduit des recours gracieux et/ou hiérarchiques afin de démontrer le besoin de ces talents (spécialisation technique rare ou connaissances d'une zone géographique, par exemple). "Nous ne rencontrons pas vraiment de cas de dumping social, précise Stéphane Halimi. Ces diplômés étrangers occupent généralement des postes hautement qualifiés, bien rémunérés et participent à la croissance de l'entreprise." Le nouveau texte prévoit que la situation de l'emploi ne sera plus opposable aux diplômés d'un master ou d'un doctorat, même s'ils n'ont pas d'APS.
Part d'étudiants étrangers dans les principaux pays d'accueil en 2012, en %

Près d'un quart des étudiants étrangers restent en France pour travailler, tandis que les autres, en grande majorité, repartent dans leur pays, selon l'étude annuelle 2013 [5] de Campus France. "Nous avons formé des Haïtiens qui contribuent au relèvement de leur pays après le tremblement de terre, un de nos étudiants turcs est devenu chef de section au ministère turc des Affaires étrangères et de nombreux diplômés occupent des postes de cadres dans leur pays, permettant de développer des réseaux économiques avec la France", souligne Danielle Tartakowsky, la présidente de Paris VIII. Dans cette université, les étudiants étrangers ne font pas de la figuration : leur taux d'insertion dans l'emploi trois ans après le master est sensiblement supérieur à celui des Français.

Malgré les entraves administratives et les problèmes de logement, fréquents aussi dans d'autres pays, la France a regagné, en 2012, le 3e rang mondial pour l'accueil des étudiants étrangers en nombre absolu (271 000), selon le classement de l'Unesco [6]. Devant l'Australie (249 000) et l'Allemagne (207 000), mais loin derrière les Etats-Unis (740 000) et le Royaume-Uni (427 000). La compétition internationale pour les talents et les actions entreprises par les autres grands pays imposent de poursuivre les efforts pour attirer davantage d'étudiants, notamment en provenance des pays émergents. Même si le nombre de Chinois augmente fortement, les étudiants de ces pays sont très majoritairement anglophones et "peuvent hésiter à choisir la France par rapport à l'image qu'ils s'en font", selon Stéphane Halimi.

En savoir plus

"Les données de l'immigration professionnelle et étudiante", ministère de l'Intérieur, avril 2013, accessible sur www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Document-pre paratoire-au-debat-sans-vote-sur-l-immigration-professionnelle-et-etudiante
"Rapport sur l'accueil des talents étrangers", inspections générales des Affaires étrangères, de l'Education nationale et de la Recherche, des Finances et de l'Administration, avril 2013, accessible sur http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2013/02/4/2013-031_ac cueil_talents_etrangers_254024.pdf
"Etudiants étrangers et marché du travail. Une comparaison Allemagne-France-Royaume-Uni", Commissariat général à la stratégie et à la prospective, novembre 2013, accessible surwww.strategie.gouv.fr/sites/stra tegie.gouv.fr/files/archives/CGSP_rapport_Etu diants_etrangers_web.pdf

Nicolas Lagrange
Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014

Des pauvres de plus en plus pauvres

En 2012, la pauvreté a reculé en France, selon l'Insee [1] : on est passé de 8,7 millions de pauvres à 8,5 millions (14 % de la population). Ce n'est cependant une bonne nouvelle qu'en apparence, car cette baisse s'explique par de mauvaises raisons.

La pauvreté se mesure en effet par rapport au revenu médian, celui qui partage la population en deux moitiés. En France comme dans les autres pays de l'Union européenne, le seuil de pauvreté est fixé à 60 % de ce revenu médian. Une personne proche de ce seuil entrera ou sortira de la pauvreté d'une année sur l'autre en fonction, non seulement de l'évolution de son propre niveau de vie, mais aussi de l'écart entre celui-ci et le revenu médian. Or, entre 2011 et 2012, ce revenu médian a baissé, passant de 1 662 euros par mois à 1 645 euros. Le seuil de pauvreté a du coup, lui aussi, diminué de 997 euros par mois en 2011 à 987 euros en 2012. C'est la raison pour laquelle, le nombre de personnes considérées comme pauvres a reculé.

Parallèlement, l'Insee relève cependant aussi une "intensification de la pauvreté", autrement dit, les pauvres sont devenus encore plus pauvres. En 2012, la moitié des personnes pauvres vivait avec moins de 784 euros par mois, contre 806 euros en 2011. Cette situation touche particulièrement les familles monoparentales. Elle s'explique par la dégradation du marché du travail mais aussi par le fait que les prestations sociales ont augmenté moins vite que l'inflation au cours de ces années.

Comme le relève l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale [2], ces dispositifs qui garantissent l'accès aux services et aux biens essentiels restent pourtant primordiaux. Même s'ils ne suffisent pas à écarter le risque d'irréversibilité de la pauvreté, qui constitue aujourd'hui la menace majeure de rupture du lien social.

Céline Mouzon
Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014
 NOTES

mardi 14 octobre 2014

Comment cinq grands groupes s'approprient la RSE

Hier focalisé principalement sur l’environnement, la RSE a élargi progressivement son champ d’intervention, s’insinuant de plus en plus dans le quotidien de l’entreprise. Après l’avoir souvent considérée comme une contrainte, les « métiers » comprennent aujourd’hui qu’elle peut devenir un levier de progrès. Comme ici chez Airbus, Carrefour, Lafarge, Pernod-Ricard et Solvay. Une enquête Enjeux Les Echos, Octobre 2014.


La RSE, un levier de progrès pour les tenors du CAC40

1) Airbus se mobilise pour ses sous-traitants
Lorsqu’il retarde le paiement d’une facture, un grand groupe ne réalise pas toujours l’impact sur les comptes de la PME sous-traitante. Airbus a pris conscience de cette fragilité. Le géant aéronautique a été le premier signataire en 2010 de la Charte issue des Etats généraux de l’industrie, visant à rééquilibrer les relations entre les grands donneurs d’ordres et leurs fournisseurs. Le texte prévoit en particulier la nomination d’un médiateur chargé de recevoir les éventuelles doléances des partenaires industriels. Grâce à lui, l’avionneur a notamment été prévenu que le niveau d’information accordée sur les plans de charge à venir était insuffisant. « Au titre d’une opération pilote, nous avons proposé à tous nos fournisseurs de rang 1 six mois de visibilité sur les commandes. Avec engagement de leur part de transmettre ces informations à leurs propres sous-traitants », indique Albert Varenne, directeur de la stratégie et de la gouvernance achats, à qui a été confiée la casquette de médiateur.

Pour pousser encore plus loin la démarche, Airbus n’a pas hésité à mettre en place des évaluations inversées. Une fois par an, ce sont donc ses fournisseurs qui jugent sa performance en tant que donneur d’ordres. Cette approche lui a permis d’identifier des attentes insuffisamment prises en compte. Comme, par exemple, le souhait de ces PME d’être davantage accompagnées dans leur développement. Airbus essaye désormais de corriger le tir, en parti-culier via une structure associative paritaire à laquelle il a adhéré : le Pacte PME. Sa finalité : favoriser la « fabrication » d’entreprises de taille intermédiaire (ETI) en France. Avec d’autres comme EDF, Total, Thales, Alstom ou Safran, l’avionneur a donc entrepris de jouer les « accélérateurs de business » auprès de certains fournisseurs. Le fabricant de tentes de grandes dimensions BHD a ainsi pu profiter d’un contrat avec Airbus Hélicopters pour la fourniture de hangars mobiles. « En élargissant l’assiette industrielle de ces PME, nous les rendons plus résilientes aux aléas conjoncturels et diminuons, par la même occasion, notre niveau de risque à travailler avec elles », précise Albert Varenne.

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2) Carrefour s’attaque au gaspillage alimentaire
En France, 20% des aliments achetés sont jetés sans être consommés. Ce qui représente 90 kg de déchets par an et par habitant. Un gâchis qui émeut de plus en plus l’opinion publique. Et oblige les enseignes de distribution à réagir. Carrefour a pris le taureau par les cornes et fait de la lutte contre le gaspillage, un des grands axes de sa politique de développement durable. Déchets organiques, emballages, consommation d’énergie… l’enseigne agit sur tous les tableaux. Le groupe de distribution a notamment entrepris de revoir ses dates limites de consommation (DLC). Des tests microbiologiques ont ainsi permis de rallonger la durée de consommation de 51 références. Carrefour a par ailleurs supprimé les dates limites d’utilisation optimale (DLUO) sur des produits comme le sel, le sucre ou le vinaigre où elles étaient semble-t-il inutiles. De quoi éviter qu’ils ne finissent trop rapidement dans nos poubelles.L’enseigne s’est aussi attelée à limiter les dégâts en magasin. Depuis plus d’un an, les produits approchant de leur DLC font l’objet de promotions. Les chefs de rayons pratiquent aussi désormais le « délotage » sur les fruits et légumes. Au lieu d’être jetés, les articles un peu abîmés sont rassemblés dans de nouveaux lots et vendus moins chers.

Enfin, lorsqu’ils arrivent à trois jours de leur DLC, les articles non vendus sont proposés sous forme de dons aux associations caritatives. L’an dernier, Carrefour a ainsi offert 68 millions de repas. Mais en dépit de ce dispositif, l’enseigne produit encore des déchets organiques. Elle tente donc de les valoriser via un processus de méthanisation. Le gaz produit a vocation à être réutilisé comme combustible pour des camions de livraison. Un test réalisé sur trois véhicules s’est avéré satisfaisant. Le potentiel existe pour plusieurs dizaines de camions. Parallèlement, le distributeur a travaillé à l’optimisation de ses tournées de livraison. Côté magasin, Carrefour a produit un gros effort sur la consommation d’énergie des meubles réfrigérés, en utilisant notamment de nouveaux procédés produisant du froid à base de fluides fluorés moins nocifs pour la couche d’ozone. La réduction des emballages figure également parmi les priorités du groupe. Désormais, tous les chefs de produits sur les marques propres sont interpellés sur le sujet. « Les idées peuvent venir éga-lement des fournisseurs que nous impliquons dans notre stratégie antigaspi », souligne Bernard Swiderski, directeur du développement durable. Témoin ce fabricant de quiches surgelées qui a réussi à supprimer les barquettes en aluminium dans lesquelles elles étaient cuites et emballées.

3) Lafarge se nourrit des critiques d’experts

« Pas assez vite, pas assez loin. » C’est, en substance, ce qui se dégage des commentaires émis par le panel d’acteurs de la société civile invités par Lafarge à évaluer sa politique de développement durable. Ces neuf experts indépendants ou affiliés à de grandes organisations comme le WWF, Care, l’Internationale des travailleurs du bâtiment et du bois ou l’African Center for Economic Transformation, n’hésitent pas à aborder les sujets qui fâchent dans le rapport annuel. Ils se disent « déçus de constater que le nombre d’accidents mortels n’a pas baissé » et « préoccupés par la persistance de conflits avec une minorité substantielle de communautés résidant autour des sites ». Ils demandent à en savoir plus « sur les solutions prévues pour réduire les émissions de mercure » mais aussi « sur la méthode d’évaluation de la chaîne d’approvisionnement ainsi que sur la lutte contre la corruption », voire « sur les mesures correctives que Lafarge compte engager avec les fournisseurs n’ayant pas répondu à ses attentes ». Bref, de quoi donner du grain à moudre aux équipes. « C’est la preuve de leur liberté de parole », souligne Alexandra Rocca, directeur général adjoint, en charge de la communication, des affaires publiques et du développement durable du groupe.

Si le cimentier a choisi de se mettre volontairement sous contrainte, c’est pour être aiguillonné. A défaut d’être confortable, le dispositif crédibilise sa démarche de développement durable. Le panel l’aide à maintenir le cap. De fait, l’une des deux réunions annuelles se déroule en présence du président et du comité exécutif. Preuve que les remarques et autres questions de ces « critical friends » sont entendues au plus haut niveau. Les experts ont notamment contribué à sensibiliser le groupe sur la qualité des relations avec les communautés locales dans les pays émergents. « Nous sommes passés d’une approche caritative à la volonté de participer au développement économique des zones autour de nos usines », explique Alexandra Rocca. Ainsi en Ouganda, Lafarge a contribué à créer une filière de culture du café, dont les déchets agricoles servent de combustible aux cimenteries. Même principe appliqué au Kenya, mais avec une exploi-tation sylvicole. Le panel a aussi beaucoup pesé pour que le groupe accentue ses efforts de recyclage du béton. Le message est passé, puisque le cimentier s’est donné pour objectif de porter à 20% d’ici à 2020, la part de ce type de béton dans ses ventes.

4) Pernod Ricard éclaire son lobbying

Glisser une petite enveloppe à un douanier pour éviter que sa marchandise ne reste pas immobilisée trop longtemps… Un geste auquel cèdent encore beaucoup d’exportateurs mais que le groupe Pernod Ricard s’interdit, conformément aux recommandations de Transparency International (TI). L’ONG plaide pour une stratégie d’influence plus protocolaire par le biais des autorités consulaires. Adhérant à cet organisme depuis deux ans, le fabricant de spiritueux n’a pas hésité en début d’année à aller plus loin, en signant une déclaration rédigée par la section française de TI dans laquelle il s’engage à pratiquer une forme de lobbying « responsable ». Elles ne sont que sept entreprises à l’avoir fait (Pernod Ricard, BNP Paribas, Crédit agricole, La Poste, L’Oréal, La Française des jeux et Tilder). Preuve que le sujet est encore émergent en France.

Ce n’est en effet que depuis octobre 2013 que l’Assemblée nationale a mis en ligne un « registre de transparence » dans lequel les lobbyistes – appelés pu-di-quement « représentants d’intérêts » – sont invités à se dévoiler. Un dispositif inspiré du modèle bruxellois qui existe depuis plus de dix ans. A l’époque, Pernod Ricard avait été l’un des premiers groupes à s’y soumettre. Dans sa fiche, on apprend notamment que le groupe mobilise aujourd’hui six personnes pour ses actions de lobbying européen et dispose d’un budget de près de 1 million d’euros. Aux Etats-Unis, où les pratiques sont encore plus encadrées, les entreprises sont tenues de remettre des rapports trimestriels au Congrès.

« Si la France est en retard dans ce domaine, c’est sans doute que pour beaucoup d’entreprises ce type d’actions reste l’apanage des associations professionnelles », analyse Jean Rodesch, en charge des affaires publiques et de la RSE du groupe. Sur les conseils de Transparency International, Pernod Ricard a décidé au contraire d’afficher sur son site ses positions en matière de libre consommation d’alcool, de compor-te-ments à risques, de fiscalité discriminatoire ou de communication. Ce qui peut donner des arguments à ses détracteurs, mais pour Jean Rodesch, cette démarche a le mérite de clarifier les choses tant vis-à-vis de l’extérieur qu’en interne. Le groupe qui s’interdit d’employer d’anciens hauts fonctionnaires a aussi mis en place une formation pour ses salariés sur le lobbying responsable. Inspiré par Patrick Ricard qui conseillait à ses commer-ciaux de « se faire un ami chaque jour », la culture maison invite chaque employé à devenir un peu lobbyiste. Mais le géant des boissons semble veiller à ce qu’elle se diffuse dans le respect d’un code de conduite irréprochable.
5) Solvay labellise ses produits

Quoi de plus impliquant pour un directeur de développement durable que d’agir directement sur son portefeuille de produits ? Solvay s’est doté d’un outil ad hoc baptisé Sustainable Portfolio Management (SPM) lui permettant d’évaluer l’impact de ses 10 000 références selon des critères de responsabilité sociale et environnementale. Déjà 65% du chiffre d’affaires ont été passés au crible du SPM. Mise au point par le groupe belge, la méthodologie a été encore améliorée après le rachat de Rhodia en 2011 et intégrée dans les revues annuelles de toutes les unités de production. Chaque composant fabriqué par le chimiste a vocation à être classé selon une grille de cinq niveaux. Les mauvais élèves sont estampillés « exposed » ou « obstructed ». Les bons, « aligned » ou « star ». Entre les deux, ils peuvent aussi recevoir la mention « neutral ». Ambitieux, le référentiel prend en compte le couple produit/application. Il mesure l’impact ducycle de vie, que la méthode permet de monétiser, et l’usage qui est fait du produit fini. Ainsi, bien que les matériaux commercialisés par Solvay et servant à fabriquer des filtres à cigarettes soient biosourcés et biodégradables, l’entreprise les a tout de même classés « obstructed », au vu de l’impact du tabac sur la santé humaine. Idem pour tous les composants utilisés dans l’industrie nucléaire.

23% du portefeuille est aujourd’hui en dessous de la moyenne. Solvay n’a pas pour autant retiré ces produits du marché. « L’analyse SPM ne vise pas à servir de couperet, indique Jacques Kheliff, directeur du développement durable. C’est un outil de pilotage qui doit permettre aux managers de faire des choix informés. » L’objectif final est bien sûr de peser sur l’activité en augmentant la part des produits labellisés « star ». Pour mériter ce classement, une référence doit apporter un bénéfice significatif et mesurable dans au moins un domaine listé par le référentiel et établi avec l’appui de consultants extérieurs. Et afficher un taux de croissance de 10%, prouvant que la solution est bien en phase avec son marché. A ce jour, 9% du portefeuille a décroché ce label, mais le groupe vise les 20% pour 2020. Parmi les produits adoubés : un revêtement pour poêles à frire sans perturbateurs endocriniens, un polymère haute performance utilisé en aéronautique pour alléger les pièces de structure, ou encore un autre polymère pour des applications de grande consommation, fabriqué à partir de matières premières renouvelables comme l’huile de ricin.

Au début, les patrons des unités de production étaient réticents à l’égard de cette méthode d’évaluation. Aujourd’hui, ils sont très demandeurs. Ils ont compris qu’elle leur permettait de toucher du doigt des problèmes qu’ils n’avaient pas forcément identifiés et qui pouvaient déboucher sur des nouvelles opportunités de marché. Convaincu de détenir, avec SPM, un outil opérationnel pour faire avancer la cause du développement durable, la direction de Solvay a décidé de le partager avec d’autres entreprises en dehors du secteur de la chimie. De quoi le rendre encore plus performant. 

Stefano Lupieri
Les Echos, 2/10/14


lundi 13 octobre 2014

Lego arrête de jouer avec Shell

Acculé par Greenpeace, le fabricant de jouets a rompu son accord avec le pétrolier. Ce n’est pas la première fois qu’il cède sous la pression.


La cérémonie d'investiture d'Obama, en lego. (Photo Mike Blake. Reuters)
Greenpeace a gagné. Le numéro 1 mondial du jouet, Lego, ne renouvellera pas son partenariat vieux de plus de 50 ans avec le pétrolier Shell, lequel prendra fin dans dix-huit mois. Fini les petites stations services en briques jaunes siglées du logo du groupe anglo-néerlandais. Pour l’ONG, qui faisait pression depuis trois mois sur la marque danoise, pour l’inciter à rompre avec le pétrolier qui a entrepris des forages dans l’Arctique en 2012, c’est une victoire sans précédent. «J’espère que la décision de Lego sera une énorme sonnette d’alarme pour toutes les entreprises, qui vont devoir réfléchir avec qui elles décident de joindre leur force», a déclaré Mads Flarup Christensen, directeur exécutif de Greenpeace en Scandinavie. Dans le viseur de l’ONG, l’accord signé en 2011 entre Lego, Shell et Ferrari, qui autorise le pétrolier à vendre en exclusivité six modèles en briques du fabricant de bolides italien dans ses stations-service.



C’est la fuite sur Internet d’une vidéo à usage interne qui a mis le feu aux poudres, en établissant que la vente de 16 millions de boîtes de Lego dans les stations Shell a permis d’augmenter de 7,5% les ventes d’essence du pétrolier. Greenpeace a riposté avec une vidéo sur Youtube, vue par plus de 6 millions d’internautes depuis le 1er juillet. Il met en scène un paysage polaire, construit en briques Lego, et peuplé d’Inuits, d’ours polaires et de chiens de traîneaux, bientôt recouverts par une épaisse marée noire. La pétition qui l’accompagne a recueilli plus d’un million de signatures dans le monde.



«Clients».

Si la marque danoise a fini par céder, son PDG, Jorgen Vig Knudstorp, a fait savoir qu’il n’appréciait guère les méthodes de l’ONG. Son entreprise, dit-il, «n’aurait jamais dû être impliquée dans la controverse entre Greenpeace et Shell». Interrogé par le quotidienPolitiken, Winni Johansen, professeure en communication de crise, évoque «une prise d’otage». Un début selon elle, car Greenpeace a apporté la preuve qu’il était possible de«faire plier une grosse et honnête entreprise, si on exerce suffisamment de pression». Pour Clémence Lerondeau, à la tête de la campagne contre Lego en France, la forte mobilisation a joué un rôle essentiel. «Lego a surtout écouté des clients potentiels. La preuve : la marque n’a pas pris position pour l’Arctique dans son communiqué.»

Ce n’est pas la première fois que le groupe danois plie face à Greenpeace. En 2011, l’ONG avait révélé que le groupe industriel Asia Pulp and Paper (APP), fournisseur de produits de papier de Lego, Mattel et Disney, était responsable de la destruction d’une grande partie des forêts tropicales de Sumatra, en Indonésie. Lego avait été le premier à réagir et à mettre fin au contrat qui le liait à APP. «Notre souhait est de nous approvisionner uniquement auprès de fournisseurs qui ne sont pas impliqués dans la déforestation», avait alors expliqué Helle Sofie Kaspersen, du département Corporate Governance and Sustainability de Lego. La marque danoise avait en outre mis en place différentes mesures afin de réduire son impact environnemental, telles que l’utilisation de fibres recyclées dans ses emballages. «Lego fait beaucoup d’efforts, note Clémence Lerondeau. C’est un leader dans le domaine des bioplastiques. Dans quelques années, ses jouets ne seront plus produits à partir du pétrole.»

Mais il n’y a pas qu’au nom de la défense de l’environnement que Lego s’est fait épingler. En 2013, la marque a été accusée de racisme. Un jouet dérivé de la saga Star Wars, le palais du célèbre seigneur du crime Jabba le Hutt, avait indigné la communauté turque d’Autriche, qui avait dénoncé sa ressemblance avec la mosquée Sainte-Sophie d’Istanbul. Lego avait retiré le jouet, regrettant que «des membres de la communauté turque l’aient mal interprété».

Le groupe danois a également suscité l’ire des féministes, qui lui ont reproché de véhiculer des stéréotypes sexistes. En janvier 2012, Lego, longtemps adepte des jeux «mixtes», avait lancé une gamme 100% dédiée aux petites filles, Heartlake City, pendant féminin du viril Lego City. Déclinées dans des tons rose et violet, les petites briques permettent de construire l’univers de cinq copines. Pour Anita Sarkeesian, créatrice du site Feminist Frequency, qui s’est penchée sur la question du sexisme dans les jeux Lego, Heartlake City est surtout «un paradis couleur pastel, où règnent le clivage des sexes et les stéréotypes féminins».

«Plage».
En janvier, nouvelle affaire avec la lettre de réclamation d’une Américaine de 7 ans, Charlotte, relayée par les réseaux sociaux. «Je suis allée dans un magasin, et j’ai vu qu’il y avait deux sections, la rose pour les filles et la bleue pour les garçons, écrit-elle. Tout ce que les filles pouvaient faire c’était rester assises à la maison, aller à la plage, faire les boutiques et n’avaient pas de travail.»

Huit mois plus tard, Lego lançait son kit de femmes scientifiques, paléontologues, astronomes ou chimistes. Avec sa politique de licences tous azimuts (cinéma, jeu vidéo), le danois est devenu au premier semestre 2014 le numéro 1 mondial du jouet, devançant pour la première fois Mattel. Une visibilité qui lui vaut d’être scruté de toutes parts, car, comme le clame la multinationale sur son site,«rien n’est trop parfait pour les bâtisseurs de demain».

Par Anne-Françoise Hivert (en Scandinavie) et Tatiana Salvan
Libération, 10/10/2014



jeudi 9 octobre 2014

Qu’est-ce qu’une analyse SWOT – cas pratique IKEA

Les décisions prises au sein de votre entreprise doivent prendre de nombreux facteurs en considération. Synthétiser la nature de votre entreprise et de son environnement vous offre une meilleure vision. Vous pourrez ainsi vous fixer des objectifs concrets.

La SWOT, pour Strength, Weakness, Opportunities, Threats, ou FFOM, associe les résultats d’un ensemble d’études réalisées. Idéalement, tout business, commercial ou non, devrait réaliser une analyse SWOT.


Brève explication théorique suivie de l’analyse SWOT d’IKEA.


Différentes analyses dans la matrice SWOT

L’analyse SWOT porte sur vos forces et faiblesses, vos opportunités et menaces. On l’appelle parfois FFOM, qui n’en est qu’une traduction française. Cette étude est utilisée pour votre gestion et politique stratégiques d’entreprise.

Les facteurs internes, forces et faiblesses, vont avoir des effets positifs ou négatifs sur votre entreprise. Ils sont estimés à partir d’une technique d’évaluation interne, qui va déduire vos atouts et lacunes.

Pour ce qui est des facteurs externes, on distingue les opportunités et les menaces. Ils ne peuvent être contrôlés par votre entreprise étant donné qu’ils résultent des éléments liés à votre environnement économique, démographique, technique, politique, …

Cas pratique : analyse SWOT d’IKEA

IKEA est l’une des plus grandes chaines de magasin d’ameublement au monde. Voyez plutôt :

Plus de 300 magasins se répartissent dans plus de 40 pays
Plus de 10.000 produits en magasin
Plus de 600 millions de visiteurs en magasin (par an)
Plus de 600 millions de visiteurs sur leur site web (par an)

De quoi faire rêver, non ? IKEA est une entreprise suédoise reconnue, qui propose des meubles pour toute votre maison. Quels sont ses forces, faiblesses, opportunités et menaces ? Voici l’analyse SWOT d’IKEA.


Forces

L’espace intérieur de ses magasins est très engageant. De nombreuses personnes y vont simplement pour voir ce qu’il y a de neuf, sans besoin particulier au départ.
De nombreux produits sont vendus à des prix imbattables mais l’on y trouve aussi des produits chers et de très bonne qualité. Il existe très peu de business qui parviennent à se positionner aussi clairement sur ces 2 segments de marché ‘opposés’.
Aujourd’hui, IKEA mets la durabilité de ses meubles en avant, au travers de différentes communications. En 2011, IKEA recyclait plus de 85% de ses emballages. La chaîne effectue par exemple un contrôle très strict de ses fournisseurs.
Vrai écoute des besoins du client. De nombreuses études de marché nous montrent qu’IKEA est dans le Top 10 des entreprises rencontrant la meilleure ‘satisfaction client’.

Faiblesses

Certains marchés géographiques connaissent des difficultés. Par exemple, de nouveaux magasins ont été ouverts aux Royaumes Unis. Mais la croissance du nombre d’enseignes sur un territoire donné fait décroître la fréquentation individuelle des magasins. Le nombre de clients global n’a pas augmenté mais les visiteurs se déplacent moins. Alors qu’auparavant, ils réalisaient de longs déplacements sans aucun problème. La densité de ventes réalisée par magasin a diminué.
Les enseignes IKEA ne sont pas situés en centre ville. Ils sont situés autour de grandes villes uniquement. Un client habitant dans une petite ville de province doit faire de longs trajets pour s’y rendre, ce qui augmente le coût global de l’achat.

Opportunités

L’e-commerce permet de palier au problème de ‘non proximité’, relevé dans les faiblesses.
Des pays en plein développement comme la Chine offrent des opportunités pour la fabrication de meuble à bas coûts. Les prix de vente peuvent ainsi rester bas.
D’un autre côté, ces nouveaux marchés regorgent d’opportunités d’expansion. IKEA en Chine, c’est 1,5 milliard de clients potentiels qui veulent vivre à l’européenne. Ses meubles en sont une très bonne représentation.

Menaces

Une entreprise comme IKEA devra toujours combattre contre des enseignes à l’offre beaucoup plus large. Certaines vendent des meubles, des mobiles, des TV, … IKEA devra un jour se diversifier encore plus dans son offre produit.

IKEA est présent sur le marché du meuble qui est relativement mature. Il est sur tous les marchés nationaux suffisamment porteurs. Il connaît certaines difficultés pour entrer des marchés émergeantscomme l’Inde ou la Chine. Il doit par exemple prendre des partenaires locaux sur certains marchés pour les occuper. Ces partenaires pourraient prendre plus de 50% de ses parts, ce qui serait inacceptable pour IKEA.

Publié le 11/04/2012 - Par Patrice Decoeur
http://wwwhttp://www.succes-marketing.com/marketing/analyse/swot-ikea.html

mercredi 8 octobre 2014

Français, il faut travailler plus pour gagner... autant !

L'Institut Montaigne affirme que, "tous secteurs confondus, les salariés français travaillent moins que dans la plupart des pays européens".

Les employés de l'usine de Brocéliande désossent de la viande. 

Français, il faut travailler plus sans gagner plus "pour relancer l'économie", estime l'Institut Montaigne dans un rapport publié mercredi, qui affirme que l'écart entre la France et ses voisins en matière de temps de travail atteint "des proportions inquiétantes". Dans ce texte baptisé : "Temps de travail : mettre fin aux blocages", le think tank d'inspiration libérale affirme que "tous secteurs confondus, les salariés à temps plein travaillent en France moins que dans la plupart des pays européens et des économies comparables de l'OCDE". Pour l'Institut, il faut "agir rapidement" face à cette situation et réformer le temps de travail pour "relancer l'économie française".

Faire du business en Inde, le nouveau sport extrême…

Sensations fortes et réels dangers attendent les entreprises qui se lancent sur le colossal marché indien. Améliorer le climat des affaires constitue un des plus grands défis du nouveau gouvernement.


Quand nous achetons des composants à Bangalore pour les utiliser dans une usine à Hyderabad, à 500 kilomètres de là, le coût du transport et des taxes intérieures est tel qu'il est parfois plus rentable de les expédier de Bangalore en Europe puis d'Europe à Hyderabad, raconte-t-on au siège indien d'une grande entreprise française de technologie. Bien sûr, ce sont des cas particuliers, mais en Inde tous les cas sont particuliers ! »

Quand le Premier ministre, Narendra Modi, a lancé en fanfare le 15 septembre sa campagne « Make in India », destinée à convaincre les industriels du monde entier d'investir et de produire dans le pays, ce n'est pas à ce genre de caractéristiques de la vie des affaires en Inde qu'il pensait… Son plaidoyer portait plutôt sur la taille du marché et ses perspectives de croissance.
Pourtant, parmi les grands patrons indiens et étrangers conviés à prendre la parole, plusieurs sont allés au-delà des hommages de rigueur rendus à la clairvoyance du nouvel homme fort de l'Inde, et ont rappelé que travailler dans le pays n'est pas une sinécure : infrastructures, droit du travail, fonctionnement de l'administration, qualification de la main-d'oeuvre, tous ces domaines demandent à être sérieusement améliorés si l'industrie doit prospérer, ont-ils respectueusement suggéré.
Le Premier ministre en est convenu, déplorant la position de l'Inde au 134e rang sur 189 pays dans le classement Doing Business de la facilité à faire des affaires, établi par la Banque mondiale. L'administration a été sensibilisée au problème par ses soins et le gouvernement va s'y attaquer assidûment, a-t-il promis.

Il y a de quoi faire. A la mi-septembre, trois PDG de multinationales de premier plan - ceux de l'opérateur télécoms britannique Vodafone, de son compatriote le groupe pétrolier BP et du constructeur automobile Honda - ont critiqué publiquement les problèmes qu'ils rencontrent en Inde.
Le mois dernier également, le classement annuel du World Economic Forum a mis l'Inde au 71e rang, en chute de onze places sur un an. Quant au classement de la Banque mondiale, qui fait autorité en la matière, même si les critiques méthodologiques ne manquent pas, il est donc particulièrement peu flatteur pour le pays. Non seulement l'Inde y est très mal placée (à titre de comparaison, elle figure une quarantaine de places derrière la Russie et la Chine), mais elle se situe dans les tout derniers rangs dans quatre des dix sous-indicateurs qui composent l'indice Doing Business : créer un business, obtenir un permis de construire, payer ses impôts, faire respecter un contrat devant la justice.

Il y a un « paradoxe indien », estime KPMG dans une étude consacrée à la question : le pays « connaît une des plus fortes croissances dans le monde, mais figure parmi les plus mal placés dans le classement de la Banque mondiale ». Et le consultant d'énumérer les « problèmes critiques » que sont« la difficulté à se procurer des terrains, les infrastructures inadéquates, le manque d'électricité, les lois sociales contraignantes, la réglementation fiscale, le manque de gouvernance et de transparence, et les processus pour obtenir les autorisations ».

Des remèdes surréalistes

De fait, les hommes d'affaires étrangers actifs en Inde regorgent d'anecdotes sur les difficultés qu'ils rencontrent dans leurs opérations, même s'ils ne s'expriment pas ouvertement. La difficulté à créer une affaire, pour laquelle le pays se classe 179e sur 189, est soulignée par tous, de même que les problèmes qui apparaissent dans la gestion courante.
La formule couramment pratiquée du joint-venture entre une société étrangère et un partenaire indien est source de sérieuses difficultés. « Au début, ça se passe très bien,explique Delphine Gieux, avocate du cabinet UGGC qui conseille depuis dix ans les entreprises françaises dans leurs activités en Inde, mais dès que des difficultés apparaissent, parce que le "business plan" était trop optimiste, par exemple, des attitudes radicalement opposées s'affrontent : le Français va vouloir réinvestir pour jouer sur le long terme, le partenaire indien voudra sabrer les coûts pour revenir à l'équilibre le plus vite possible. »

Les exemples de coopérations ayant mal tourné sont légion, depuis Renault avec Mahindra jusqu'à SEB avec Maharaja Whiteline. Autres« contraintes énormes » mises en avant par l'avocate : celles qui résultent du contrôle (partiel) des changes. Par exemple, souligne-t-elle, « il est interdit aux maisons mères étrangères de prêter à leur filiale indienne pour ses besoins courants. C'est très pénalisant quand il y a une difficulté provisoire ».

Les démêlés des entreprises avec l'administration quand il s'agit d'obtenir un permis de construire (l'Inde est 182e dans ce domaine selon la Banque mondiale !) ou les innombrables permis rythmant leur vie quotidienne sont légendaires. L'hôtel Ibis du groupe 

Accor vient d'ouvrir ses portes dans la cité hôtelière de l'aéroport de Delhi avec… quatre ans de retard. La raison : la police a « découvert » longtemps après le lancement de la construction de cette zone qui concentre seize hôtels que des terroristes pouvaient utiliser des chambres situées près des pistes pour tirer sur les avions. Les remèdes les plus surréalistes ont été envisagés, allant jusqu'à l'édification de murs de douze mètres de haut, avant que des solutions plus réalistes soient acceptées. L'inventivité de l'administration se manifeste dans tous les domaines.

L'été dernier, elle a imposé que des étiquettes rédigées selon des normes indiennes soient appliquées sur les produits agroalimentaires importés en Inde, en refusant que des étiquettes conformes soient simplement ajoutées. Résultat : des groupes comme Pernod-Ricard ont vu leurs stocks déjà présents en Inde devenir invendables, leurs conteneurs arrivant dans le pays être bloqués par les douanes et ont dû importer à grands frais des caisses de bouteilles par avion pour ne pas se trouver en rupture de stocks…

Dans le domaine de la fiscalité (où l'Inde vient au 158e rang), les histoires d'horreur abondent aussi. La plus connue est celle de Vodafone, à qui le fisc indien réclame depuis des années plusieurs milliards de dollars au titre des plus-values réalisées sur une ancienne opération. La Cour suprême ayant jugé cette demande du fisc totalement infondée, le gouvernement de l'époque n'a pas hésité à faire voter une loi rétroactive sur des dizaines d'années pour étayer sa demande, et l'affaire est toujours pendante. Le groupe français Sanofi fait l'objet d'une demande similaire du fisc indien pour son acquisition d'une filiale de Mérieux. Globalement, note Sumit Khosla, directeur général en Inde de la société de conseil Accuracy, « la situation fiscale est difficile à appréhender, notamment pour la fiscalité indirecte qui est très complexe, même pour les spécialistes. Ca oblige à travailler dans un certain flou administratif, les Occidentaux n'aiment pas ça ».
Gagnant-perdant

La situation est pire encore pour tout ce qui touche aux recours en justice pour faire respecter un contrat, domaine où l'Inde se classe… 186e sur 189 pays. Là, souligne Sumit Khosla, « le problème n'est pas l'absence de cadre juridique, l'Inde est un pays de droit et tous les mécanismes sont là. Mais les tribunaux sont complètement engorgés et quand il y a un problème, c'est parti pour la vie… ».

Au-delà des indicateurs concrets de la Banque mondiale, faire des affaires en Inde, c'est aussi se heurter à des différences culturelles. La rudesse des moeurs indiennes en la matière surprend souvent les Occidentaux, habitués à des pratiques plus policées. « La difficulté majeure, analyse le responsable en Inde d'une entreprise française active dans les technologies de pointe, c'est que les hommes d'affaires indiens ne connaissent pas la notion de relation gagnant-gagnant. Pour eux, il faut qu'il y ait un gagnant et un perdant. Ca oblige à se méfier en permanence des partenaires, des clients, des fournisseurs et des collaborateurs. »Concrètement, Delphine Gieux conseille à ses clients de« garder toujours la maîtrise totale des circuits de l'argent »dans leur filiale indienne. Ce qui veut dire que, « idéalement, le directeur financier doit être un expatrié ».

Un point délicat, enfin : si la difficulté à faire des affaires est la même pour tous, Indiens et étrangers, les premiers disposent d'un moyen éprouvé pour arranger les problèmes, notamment pour ce qui touche aux administrations : la corruption. Les hommes d'affaires étrangers s'expriment peu sur une question qui les met profondément mal à l'aise : ils ne maîtrisent pas les « usages » en la matière et ont en général interdiction formelle de la part de leur hiérarchie d'accepter de telles pratiques. Quitte à déléguer la sale besogne à leurs avocats ou autres cabinets conseils. Mais un sondage réalisé par KPMG sur « les problèmes clefs pour gérer et faire croître un business en Inde » donne une réponse limpide : la corruption arrive largement en tête des réponses.

Dans un climat des affaires aussi difficile, certains ont la tentation « d'aller voir ailleurs », selon l'expression du responsable pour l'Inde d'un groupe industriel français. Pendant l'été, Carrefour et Auchan ont quitté le pays. En avril dernier, le géant pharmaceutique japonais Daiichi Sankyo a soldé sa désastreuse aventure indienne en revendant sa filiale Ranbaxy. De tels exemples demeurent cependant rares. Vodafone, BP et Honda, les trois groupes qui ont critiqué récemment les problèmes de l'environnement des affaires en Inde, y investissent massivement. Car, au bout du compte, souligne un patron français de Delhi, après avoir énuméré tout ce qui lui empoisonne l'existence, « ce qui sauve ce pays, c'est sa taille. Il n'y en a pas d'autres où l'on trouve les mêmes chiffres potentiels ».

Autant dire que les initiatives promises par Narendra Modi pour faciliter les achats de terres, mettre l'administration en ligne, assouplir le droit du travail ou unifier la fiscalité indirecte seront suivies de très près par la communauté des hommes d'affaires étrangers en Inde. Sans trop d'illusions quant à la capacité du gouvernement à faire s'évaporer les obstacles en tout genre. Est-ce si surprenant ? Après tout, les conquistadors qui ont effectivement profité des richesses de l'Eldorado sont ceux qui ont survécu aux flèches empoisonnées, à la jungle, aux animaux sauvages et aux fièvres… 
Patrick de Jacquelot, Les Echos
Correspondant à New Delhi

Les points à retenir

Le Premier ministre indien, Narendra Modi, a lancé en fanfare le mois dernier sa campagne « Make in India », destinée à convaincre les industriels du monde entier d'investir dans le pays.

Travailler en Inde n'est pas une sinécure : infrastructures, droit du travail, fonctionnement de l'administration, qualification de la main-d'oeuvre... Dans tous ces domaines, le pays va devoir faire de réels progrès s'il veut attirer des entreprises étrangères.
Dans son dernier classement Doing Business de la facilité à faire des affaires, la Banque mondiale a classé l'Inde au 134e rang sur 189 pays.


Les Echos, 08/10/14

Amazon : l’atypique stratégie indienne du cyber-géant américain

Le président-fondateur d’Amazon Jeff Bezos a passé une semaine en Inde où il a affiché de grandes ambitions sur un marché qui ne ressemble à aucun autre.

Jeff Bezos en viste en Inde fin septembre, ici à Bangalore

L’Inde ? « Un pays qui déborde d’une énergie incroyable », où nous rencontrons « un succès étonnant », et qui est d’ailleurs« en piste pour devenir le pays où nous aurons atteint le plus vite le milliard de dollars de ventes brutes » : Jeff Bezos n’a pas lésiné sur les superlatifs lors d’une conférence donnée à Delhi. En Inde pendant une semaine, le président-fondateur d’Amazon, numéro un mondial de l’e-commerce, accueilli comme une superstar, a multiplié rencontres, manifestations publiques et interviews, avec un double message : ce pays est désormais une priorité stratégique de première importance pour Amazon et c’est un marché qui ne ressemble à aucun autre.

Un an après avoir démarré les opérations en Inde , « le goût du succès » est là, a lancé Jeff Bezos. Un succès tel que le groupe de Seattle a annoncé fin juillet un programme de 2 milliards de dollars d’investissements supplémentaires dans le pays. Un succès d’autant plus frappant qu’il correspond à « une approche unique en son genre », selon le légendaire patron. De fait, Amazon.in est sur la voie du milliard de dollars de volume d’affaires… sans qu’Amazon vende quoi que ce soit en Inde. Le site indien du géant américain n’est en effet qu’une place de marché où la totalité des vendeurs sont des PME ou des microentreprises, 11.500 à ce jour, pour lesquelles Amazon intervient comme pur prestataire de services. « Alors que les opérations de places de marché représentent 40 % de notre activité globalement, elles font 100 % en Inde », a expliqué Jeff Bezos.

Solutions innovantes

Cette singularité tient à la législation indienne qui interdit tout investissement étranger dans le commerce en ligne. En revanche, la fourniture de services informatiques et logistiques et de plate-forme de transactions est autorisée. Mais dans cette réglementation très stricte, le groupe a voulu voir « une opportunité ». Pour attirer les petits vendeurs sur Amazon.in, il a dû « créer des solutions innovantes » qui remportent un tel succès, selon Jeff Bezos, qu’Amazon regarde maintenant « comment les exporter dans le reste du monde ».

Les services en question permettent de libérer les vendeurs de la gestion de la livraison et des relations avec les clients. Dans un pays où les contraintes logistiques sont très fortes et où il n’est, par exemple, pas question de livrer par la poste, Amazon propose « Easy ship » qui prend en charge le colis chez le vendeur et s’occupe du reste. Son programme « Fulfillment by Amazon » va encore plus loin puisqu’il assure également le stockage des produits dans les entrepôts du distributeur. Ces services permettent également aux vendeurs d’offrir à leurs clients le paiement en cash à la livraison, une prestation indispensable vu la méfiance qu’inspire le paiement par carte sur Internet. Parmi les innovations mises au point pour le marché indien, Jeff Bezos s’est aussi enthousiasmé pour « les équipes qui vont former les microentreprises au commerce en ligne, à l’utilisation des logiciels, à la construction d’un catalogue ».
Nouveaux centres de traitement des commandes

Les 2 milliards de dollars que le groupe compte investir dans le pays seront consacrés à de nouveaux centres de traitement des commandes, et aussi au développement d’outils de téléphonie mobile, a détaillé le patron d’Amazon, pour qui « la rapidité de la croissance du mobile en Inde est stupéfiante ». La grande majorité des connexions à Internet se font déjà sur téléphone, et c’est naturellement sur ce support que l’e-commerce va connaître ses principaux développements.

Sur un marché dont la croissance sur les trois années à venir est estimée par l’agence de notation Crisil entre 50 % et 55 % par an et où la pénétration du commerce en ligne est encore infime, les perspectives de développement d’Amazon justifient l’optimisme légendaire de son fondateur. A condition que le cadre réglementaire kafkaïen de la distribution en Inde ne lui mette pas des bâtons dans les roues. L’administration fiscale du Karnataka, l’Etat de Bangalore où le groupe a son siège, a lancé des procédures contestant le fait qu’Amazon interviendrait comme une pure place de marché.
Les Echos, le 07/10/14

dimanche 5 octobre 2014

Fundooz, la stratégie Inclusive Business et BoP de Danone en Inde

Suite de notre dossier sur les nouveaux modèles d’entreprises à vocation éthique avec un exemple de multinationale qui pratique l’inclusive business : il s’agit d’un groupe bien connu des Français, Danone qui est implanté en Inde.


Danone et Fundooz en Inde

Le géant agroalimentaire français développe une stratégie en Inde, pays où une grande majorité des consommateurs dispose de peu voire très peu de revenus. Pour pouvoir s’adresser à cette partie du marché du sous-continent indien, les consommateurs appelés de catégorie C et D, Danone a conçu une gamme de produits laitiers ad hoc, spécifiquement destinés aux enfants de familles à faibles revenus.

Danone considère que les consommateurs de catégorie C et D représentent un marché d’environ 500 millions de personnes habitant en zones urbaines ou péri-urbaines où ils ne disposent pas d’un accès aisé des produits frais à fort intérêt nutritif.

Cette stratégie BoP s’est donc concrétisée par le lancement en Novembre 2011, d’une nouvelle gamme de produits laitiers pour enfants qui vont à l’école, Fundooz . Les produits Fundooz sortent de la toute nouvelle usine Danone située à Sonepat tout près du Bangladesh dans l’Etat d’Haryana, là où Grameen-Danone est implanté depuis 2006.


« Nous avons commencé avec un produit que nous connaissons, dans une région où l’on a déjà de l’expérience et en ciblant une population où nous savons que nous pouvons avoir un impact ».décrypte Eric Soubeiran, directeur de la nouvelle entité BoP de Danone basée à Gurgaon.

Les deux produits de cette gamme, Yum Creamy et Yum Chuski, ne coûtent qu 5 et 10 Roupies, ce qui n’est pas le moins cher du marché car il ne s’agit pas de proposer un produit qui serait perçu comme de basse qualité et comme « cheap ».

L’approche BoP (Base Of Pyramid) ne se traduit donc pas par une vision misérabiliste du marché mais vise à toucher le plus grand nombre de personne en bas de la pyramide avec des produits qui sont « aspirationnels et abordables », c’est à dire des produits séduisants.

En 2012, Danone a lancé un autre produit laitier adapté au marché indien au prix de 15 Rs : Lassi qui a été proposé dans les les billes de Bangalore, Hyderabad, Bombay et Pune.


La publicité Lassi de Danone en Inde

Avec cette initiative, Danone ne révolutionne certes pas son business modèle global ni le marché indien mais il démontre qu’il fait partie des rares groupes qui comprend et sait appliquer une stratégie d’inclusive business destinée au plus grand nombre. Et il n’est pas sûr que les grands goupes occidentaux soit nombreux à être capable d’évoluer sur ce marché BoP dans les années à venir.