lundi 13 octobre 2014

Lego arrête de jouer avec Shell

Acculé par Greenpeace, le fabricant de jouets a rompu son accord avec le pétrolier. Ce n’est pas la première fois qu’il cède sous la pression.


La cérémonie d'investiture d'Obama, en lego. (Photo Mike Blake. Reuters)
Greenpeace a gagné. Le numéro 1 mondial du jouet, Lego, ne renouvellera pas son partenariat vieux de plus de 50 ans avec le pétrolier Shell, lequel prendra fin dans dix-huit mois. Fini les petites stations services en briques jaunes siglées du logo du groupe anglo-néerlandais. Pour l’ONG, qui faisait pression depuis trois mois sur la marque danoise, pour l’inciter à rompre avec le pétrolier qui a entrepris des forages dans l’Arctique en 2012, c’est une victoire sans précédent. «J’espère que la décision de Lego sera une énorme sonnette d’alarme pour toutes les entreprises, qui vont devoir réfléchir avec qui elles décident de joindre leur force», a déclaré Mads Flarup Christensen, directeur exécutif de Greenpeace en Scandinavie. Dans le viseur de l’ONG, l’accord signé en 2011 entre Lego, Shell et Ferrari, qui autorise le pétrolier à vendre en exclusivité six modèles en briques du fabricant de bolides italien dans ses stations-service.



C’est la fuite sur Internet d’une vidéo à usage interne qui a mis le feu aux poudres, en établissant que la vente de 16 millions de boîtes de Lego dans les stations Shell a permis d’augmenter de 7,5% les ventes d’essence du pétrolier. Greenpeace a riposté avec une vidéo sur Youtube, vue par plus de 6 millions d’internautes depuis le 1er juillet. Il met en scène un paysage polaire, construit en briques Lego, et peuplé d’Inuits, d’ours polaires et de chiens de traîneaux, bientôt recouverts par une épaisse marée noire. La pétition qui l’accompagne a recueilli plus d’un million de signatures dans le monde.



«Clients».

Si la marque danoise a fini par céder, son PDG, Jorgen Vig Knudstorp, a fait savoir qu’il n’appréciait guère les méthodes de l’ONG. Son entreprise, dit-il, «n’aurait jamais dû être impliquée dans la controverse entre Greenpeace et Shell». Interrogé par le quotidienPolitiken, Winni Johansen, professeure en communication de crise, évoque «une prise d’otage». Un début selon elle, car Greenpeace a apporté la preuve qu’il était possible de«faire plier une grosse et honnête entreprise, si on exerce suffisamment de pression». Pour Clémence Lerondeau, à la tête de la campagne contre Lego en France, la forte mobilisation a joué un rôle essentiel. «Lego a surtout écouté des clients potentiels. La preuve : la marque n’a pas pris position pour l’Arctique dans son communiqué.»

Ce n’est pas la première fois que le groupe danois plie face à Greenpeace. En 2011, l’ONG avait révélé que le groupe industriel Asia Pulp and Paper (APP), fournisseur de produits de papier de Lego, Mattel et Disney, était responsable de la destruction d’une grande partie des forêts tropicales de Sumatra, en Indonésie. Lego avait été le premier à réagir et à mettre fin au contrat qui le liait à APP. «Notre souhait est de nous approvisionner uniquement auprès de fournisseurs qui ne sont pas impliqués dans la déforestation», avait alors expliqué Helle Sofie Kaspersen, du département Corporate Governance and Sustainability de Lego. La marque danoise avait en outre mis en place différentes mesures afin de réduire son impact environnemental, telles que l’utilisation de fibres recyclées dans ses emballages. «Lego fait beaucoup d’efforts, note Clémence Lerondeau. C’est un leader dans le domaine des bioplastiques. Dans quelques années, ses jouets ne seront plus produits à partir du pétrole.»

Mais il n’y a pas qu’au nom de la défense de l’environnement que Lego s’est fait épingler. En 2013, la marque a été accusée de racisme. Un jouet dérivé de la saga Star Wars, le palais du célèbre seigneur du crime Jabba le Hutt, avait indigné la communauté turque d’Autriche, qui avait dénoncé sa ressemblance avec la mosquée Sainte-Sophie d’Istanbul. Lego avait retiré le jouet, regrettant que «des membres de la communauté turque l’aient mal interprété».

Le groupe danois a également suscité l’ire des féministes, qui lui ont reproché de véhiculer des stéréotypes sexistes. En janvier 2012, Lego, longtemps adepte des jeux «mixtes», avait lancé une gamme 100% dédiée aux petites filles, Heartlake City, pendant féminin du viril Lego City. Déclinées dans des tons rose et violet, les petites briques permettent de construire l’univers de cinq copines. Pour Anita Sarkeesian, créatrice du site Feminist Frequency, qui s’est penchée sur la question du sexisme dans les jeux Lego, Heartlake City est surtout «un paradis couleur pastel, où règnent le clivage des sexes et les stéréotypes féminins».

«Plage».
En janvier, nouvelle affaire avec la lettre de réclamation d’une Américaine de 7 ans, Charlotte, relayée par les réseaux sociaux. «Je suis allée dans un magasin, et j’ai vu qu’il y avait deux sections, la rose pour les filles et la bleue pour les garçons, écrit-elle. Tout ce que les filles pouvaient faire c’était rester assises à la maison, aller à la plage, faire les boutiques et n’avaient pas de travail.»

Huit mois plus tard, Lego lançait son kit de femmes scientifiques, paléontologues, astronomes ou chimistes. Avec sa politique de licences tous azimuts (cinéma, jeu vidéo), le danois est devenu au premier semestre 2014 le numéro 1 mondial du jouet, devançant pour la première fois Mattel. Une visibilité qui lui vaut d’être scruté de toutes parts, car, comme le clame la multinationale sur son site,«rien n’est trop parfait pour les bâtisseurs de demain».

Par Anne-Françoise Hivert (en Scandinavie) et Tatiana Salvan
Libération, 10/10/2014



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