mardi 26 mai 2015

Comment convaincre des élèves d’oser la prépa ?

Entretien avec Laurent PEYRE, enseignant en économie gestion au lycée Geoffroy-St-Hilaire d’Étampes. Laurent PEYRE est d’être aussi colleur en classe préparatoire au lycée Michelet à Vanves. Sa connaissance de ce cursus lui permet non seulement de conseiller au mieux ses élèves mais aussi de les encourager à y candidater.

A la rentrée scolaire de 2014, 7 de vos élèves ont fait une rentrée en Classe Préparatoire aux grandes écoles option technologique. Ces chiffres sont 4 fois supérieurs à la moyenne nationale, comment expliquez vous cet engouement ?
Tout d’abord cette année est exceptionnelle car il est arrivé qu’aucun élève n’intègre une CPGE. Ce qui compte c’est le projet de l’élève et tout mon travail est de susciter l’envie d’ajouter parmi les projets d’études supérieures, celui de la CPGE.
Alors, comment susciter l’envie de postuler en CPGE ?
Cette possibilité de poursuite d’études est évoquée très rapidement dès que les élèves se questionnent. En classe de première, nous échangeons de manière informelle : certains connaissent ce cursus d’autres pas du tout, il faut les informer de cette possibilité. Mais souvent, cette perspective est encore trop loin trop abstraite : la véritable construction du projet démarre vraiment au début de la classe de terminale. L’objectif est de susciter l’envie, d’encourager et d’insister en en parlant souvent.
Mais tous les élèves ne peuvent accéder en CPGE ? En fonction de leurs résultats, faut-il les prévenir de ce qui les attend ?
Il m’a toujours semblé important de ne jamais les décourager et à partir de l’instant où la CPGE est envisagée, au contraire, il faut en parler et la garder dans le champ des possibles jusqu’au bout. Dans ce cadre, je n’ai jamais envisagé de remise à niveau, de stage de préparation. Ce qui compte surtout c’est la mobilisation autour de ce projet et celle-ci se construit dans l’encouragement.
Peut-on quand même tracer le portrait d’un élève de STMG qui voudrait aller en CPGE ?
Bien sur il y a des invariants : une bonne capacité de compréhension, un élève travailleur. Le niveau des notes n’est pas le critère déterminant, le plus important est que l’élève ait un niveau plutôt homogène et pas de note inférieure à 8.
Une fois qu’ils ont inclus ce projet dans les poursuites d’études possibles, faut-il encore travailler à le consolider ?
Oui, tout d’abord je les incite à aller aux journées portes ouvertes des classes préparatoires auxquelles ils ont l’intention de postuler sur APB. Je suis présent à celle de Vanves et je peux ainsi de mon côté identifier les élèves véritablement motivés. Ensuite, une fois les vœux sur APB formulés, je les amène moi même pour une rencontre avec les enseignants de la CPGE.
Quand ils se retrouvent en CPGE, qu’est-ce qui est le plus difficile pour eux ?
Clairement la charge de travail. Ensuite un découragement très fort occasionné par des notes très en deçà des niveaux obtenus précédemment : il est alors important de les soutenir et de les encourager. Souvent l’ambiance du groupe classe permet de surmonter ces moments difficiles.
Et les parents, qu’en pensent-ils de ce projet ?
Nous les associons très tôt à cette réflexion. Lors de la remise des bulletins, nous commençons à évoquer avec eux cette possibilité.
Entrer dans cette voie représente un coût ?
Oui parce qu’une Classe Préparatoire aux Grandes Ecoles c’est deux années où il faut se loger à proximité, puis une école qui représente un investissement.
Il n’y a pas de frein sur ces aspects financiers ?
Etrangement non. Pour les CPGE, comme Vanves un internat gratuit est proposé la 1re année et je sais que d’autres solutions existent dans les autres CPGE. Ensuite, il existe dans les écoles de management des bourses octroyées aux étudiants. Enfin, certains de mes anciens élèves ont contracté des prêts étudiants comme de nombreux autres étudiants de ces écoles et il faut plutôt considérer cela comme un investissement sur l’avenir. Dans tous les cas, ces aspects n’ont jamais été un obstacle.

L’orientation des élèves de STMG vers l’IUT

Des atouts pour réussir

Durant l’année scolaire 2014-2015, des actions d’échanges et de formation ont été mises en place pour favoriser l’accès et la réussite des élèves de STMG au sein des 7 IUT de l’académie de Versailles : voir sur le site du CREG.
Les axes de réflexion suivants ont guidé nos actions et se prolongeront encore l’an prochain :
  • Favoriser l’augmentation des dossiers de candidature adressés aux IUT : en informant plus largement les élèves et leurs professeurs des possibilités de poursuite d’études dans ce cursus et des atouts des élèves de STMG pour y réussir ;
  • Encourager le recrutement des élèves issus de baccalauréat STMG de la part des IUT : en informant les IUT des spécificités de la filière et en soulignant auprès des IUT leurs points forts pour une poursuite d’études dans un tel cursus ;
  • Travailler à la réussite des élèves en échangeant avec les enseignants et responsables de formation en IUT pour identifier les points d’amélioration des élèves issus de baccalauréat STMG.
Les échanges ont permis de répondre aux nombreuses questions soulevées par cette orientation :
Les modalités de formation sont-elles les mêmes d’un IUT à un autre ?
Les IUT sont rattachés à des universités différentes (Sceaux et Orsay à Paris Sud, Velizy à Versailles Saint Quentin,..) et dans ce cadre possèdent une certaine autonomie qui leur permet une adaptation des modalités pédagogiques de leur programme d’études appelé Programme pédagogique national (PPN). Chaque IUT évalue des compétences regroupées dans le PPN mais dispose d’une certaine latitude pour la mise en œuvre de leur évaluation. Globalement à 80 % les modalités sont les mêmes mais il peut exister quelques variantes selon les lieux de formation. C’est ainsi que les modalités peuvent différer sur le nombre de semaines de stage en entreprise, le nombre et/ou la répartition des projets tutorés, la répartition entre cours magistraux, travaux dirigés et travaux pratiques. Les politiques de gestion des absences peuvent, elles aussi, connaître quelques différences.
⇒ Chaque IUT peut avoir ses spécificités qu’il convient de bien appréhender
Quelles sont les grandes familles de spécialités en IUT qui concernent les bacheliers technologiques STMG ?
Les échanges qui ont été menés tout au long de cette année ont été mis en place avec les 8 IUT présentant des spécialités tertiaires et informatiques. Seul l’IUT de Cachan présente uniquement des formations de type secondaire (industriel).
  • Les spécialités de type tertiaire : Gestion des entreprises et des administrations (GEA), Gestion administrative et commerciale des organisations (GACO) et Techniques de commercialisation (TC)
  • Les spécialités qui sont inclues dans le secteur secondaire (industriel) mais qui nous concernent aussi : INFORMATIQUE, MMI (Multimédia et Métiers de l’Internet).
  • Les IUT ont-ils une approche des recrutements par spécialité de terminale en STMG ?
  • Toutes les spécialités de type tertiaire recrutent sans tenir compte de la spécialité de terminale. Ceci étant d’autant plus vrai depuis la rénovation STMG et la classe de première unique en STMG.
  • Les spécialités de type informatique recrutent essentiellement des élèves de la spécialité Système d’information de gestion. Ces spécialités sont très techniques et scientifiques et seuls certains profils STMG SIG peuvent envisager d’y postuler pour y réussir. Cependant, si un élève en dehors de la spécialité SIG souhaitait postuler, il pourrait le faire en constituant un dossier de candidature motivé et argumenté.
⇒ Une modalité d’études exigeante qui doit s’accompagner d’un bon niveau scolaire de départ
Quel est le rythme de travail des étudiants en IUT ?
Un emploi du temps chargé. Les étudiants en IUT suivent une formation qui comprend 4 semestres et qui correspond à 1 620 heures pour les DUT tertiaires et 1 800 pour les DUT du secteur informatique. Les emplois du temps sont chargés avec environ 33 heures de cours par semaine.
Un contrôle continu fréquent, diversifié. Le système d’évaluation des IUT est basé sur un contrôle continu permanent qui prend appui sur une grande variété de travaux : des contrôles écrits et oraux, des exposés, des dossiers à monter, des devoirs à la maison et des devoirs surveillés.
À ces travaux permanents vont s’ajouter :
  • Les projets tutorés, la plupart du temps un par semestre. Les projets tutorés sont des projets confiés à des étudiants, seul ou en binôme, selon le fonctionnement de chaque IUT, en lien avec leur spécialité.
    • Exemple en DUT TC : projet de création d’entreprise, en DUT INFORMATIQUE : création d’une application informatique.
  • Les évaluations relatives aux stages en entreprise : rapports écrits puis soutenance orale en 2eannée la plupart du temps.
⇒ Le rythme de travail est intense et soutenu et l’adaptation à ce nouveau rythme est un des enjeux majeurs du 1er semestre.
Quelles sont les modalités pédagogiques propres aux IUT ?
Trois modalités d’enseignement Les cours en amphithéâtre ne peuvent représenter moins de 20 % des enseignements. Une répartition courante est de l’ordre de : 20 % en amphithéâtre 40 % en travaux dirigés (TD) 40 % en travaux pratiques (TP) Dans le cas des TD et TP, les effectifs sont en général inférieurs à ceux d’une classe habituelle de lycée. Là encore, les effectifs varient selon la taille des promotions, qui elle-même dépend de l’importance des capacités d’accueil de chaque IUT.
⇒ La majorité des cours a lieu en effectif réduit avec un réel accompagnement des enseignants
Quelles sont les conditions pour passer en 2e année et obtenir son DUT ?
Une organisation par semestre. Chaque semestre regroupe des unités enseignements et des modules qui y sont rattachés.
Une exigence liée aux notes. Pour passer en 2e année, un étudiant devra obtenir au moins 10/20 de moyenne générale ET une moyenne par Unité d’enseignement au moins égale à 8/20. Il existe un système de compensation entre semestres mais uniquement lorsqu’ils sont successifs. Ainsi un S2 peut compenser un S1 mais un S3 ne peut compenser un S1.
Une exigence forte de la présence en cours. Les exigences concernant l’assiduité en cours varient d’un IUT à l’autre mais sont très strictes.
⇒ La présence en cours et des résultats minimums sont exigés pour un passage en 2e année et une validation du DUT. ⇒ Les résultats ne peuvent se situer en deçà d’un certain seuil, ce qui implique une mobilisation sur toutes les unités d’enseignement : c’est une des raisons qui conduit à favoriser les dossiers ayant des résultats homogènes dans toutes les disciplines.
À quelles conditions peut-on envisager de passer un DUT en alternance ?
Une modalité courante mais exigeante La majorité des IUT proposent des DUT en alternance dès la 1reannée ou en 2e année. Choisir l’alternance est un projet qui doit être mûrement réfléchi dans le contexte de l’IUT : le nombre de places disponibles est réduit comparativement à une formation classique. De fait, les exigences sont importantes ; l’étudiant devra être capable de suivre à la fois les cours et répondre aux attentes de son entreprise. Ces raisons expliquent que les dossiers sélectionnés pour une formation de ce type sont de bons voire de très bons dossiers. Il faut donc s’assurer d’un bon niveau d’ensemble et d’une bonne dose de motivation pour faire face aux fortes attentes de ce type de formation.
⇒ L’alternance est une modalité proposée dans toutes les spécialités du tertiaire. ⇒ Le choix de ce mode d’études doit s’accompagner d’un niveau scolaire satisfaisant et d’une forte motivation pour faire face aux attentes fortes des deux côtés de la formation : scolaire et professionnel.
Quelles sont les exigences concernant le recrutement en IUT ?
Pour certains IUT comme Sceaux, environ 5 000 dossiers leur sont adressés ; Il convient donc de mettre toutes ses chances de côté pour espérer être sélectionné. Chaque département d’IUT détermine les critères de sélection qui correspondent aux exigences de la formation.
Un certain nombre de points communs peut cependant être mis en évidence :
Il existe souvent un recrutement en deux temps : un 1er temps de sélection des nombreux dossiers qui arrivent et ce avec des critères plutôt quantitatifs. Mais cette procédure est variable selon le nombre de dossiers. Les éléments pris en compte dans la 1re sélection :
  • Un dossier homogène sur le plan des résultats : l’étudiant d’IUT devra par le jeu des coefficients et des conditions de passage (voir plus haut) ne pas avoir de matières très faibles : aucune en dessous de 8/20.
  • Un pôle enseignement général solide : français, mathématiques et langues vivantes. Avec un regard plus important sur les mathématiques pour les départements informatiques.
  • Une moyenne sur deux ans réalisée avec la classe de 1re et terminale qui tient donc compte de la progression de l’élève.
  • L’avis est pris en compte d’autant plus attentivement que le lycée d’où provient le dossier a mis en place des liaisons avec l’IUT et est donc conscient du niveau d’exigence et des capacités attendues.
  • Une lettre de motivation argumentée et construite peut faire la différence
Au cours de la 2e sélection, les dossiers sont attentivement étudiés un à un.
⇒ Une sélection de nombreux dossiers adressés aux IUT qui exige la prise en compte des résultats scolaires avec les appréciations des professeurs

Recherche motivation des salariés…

La rémunération a longtemps été considérée comme l’un des leviers principaux de motivation au travail. Mais les recherches récentes (Daniel H. Pink, Dan Ariely) montrent que la rémunération n’est pas la principale source de motivation, même si bien évidemment elle reste un élément important. « Et croire qu’une augmentation salariale ou une prime va motiver un salarié à long terme est une erreur. L’effet d’une augmentation salariale sur la motivation ne dure que deux à trois semaines » a indiqué Zwi Segal, docteur en psychologie du travail, lors de la conférence organisée par Robert Walters pour la parution de son étude annuelle sur la rémunération des cadres.

De son côté Antoine Morgaut, CEO Europe et Amérique Latine de Robert Walters, confirme que de plus en plus de cadres sont prêts à accepter un salaire moindre en échange d’un poste intéressant, d’une promesse de carrière motivante ou d’une meilleure qualité de vie. « La mobilité géographique en province n’a jamais été aussi forte », a-t-il indiqué.

Le coût de la démotivation

Conscientes que leurs marges de manœuvre sur les rémunérations sont faibles et insuffisantes pour conserver le niveau d’engagement de leurs cadres, les entreprises sont à la recherche d’une meilleure compréhension de leurs leviers de motivation.

D’autant que le coût de la démotivation est loin d’être négligeable. Selon la société de sondages Gallup, le coût lié au désengagement au travail atteint entre 450 et 550 milliards de dollars par an aux Etats-Unis. Par extrapolation, on peut l’estimer pour l’économie française à 60 milliards d’euros. Les entreprises convient alors les spécialistes en psychologie ou en bien-être au travail pour les aider à mieux comprendre comment motiver leurs salariés.

Les réponses sont unanimes : comprendre les motivations propres à chaque collaborateur, lâcher le contrôle, faire confiance, donner de l’autonomie, mettre en place un management positif, etc. Mais cela semble plus facile à dire qu’à mettre en œuvre si l’on en croit l’étude « Engager les cœurs & les esprits » que vient de mener Hay Group auprès de 7 millions de salariés dans le monde dont 175 000 salariés français. Elle révèle que la moitié d’entre eux jugent que leur entreprise n’est pas innovante dans son fonctionnement et que 43 % ne se sentent pas encouragés à prendre des risques pour essayer de nouvelles idées ou façons de travailler, qui pourraient pourtant augmenter leur productivité.
Décalage entre discours et réalité

Pourquoi un tel décalage entre les discours et la réalité ? Pourquoi, alors que les entreprises connaissent les solutions, sont-elles si peu mises en œuvre ? Pour Laurence Saunder, Associée de l’Institut Français d’Action sur le Stress (IFAS), la réponse provient de ce qu’elle appelle « le paradoxe du dirigeant ». « Par anxiété, par peur, le dirigeant n’ose pas lâcher du lest, faire confiance, mettre en place des politiques plus collaboratives. Une peur, encore plus réelle dans un contexte de crise économique, que bien souvent seule la perception de contrôler peut apaiser. Et plus on veut prendre du contrôle, plus on ajoute du reporting. Un des vrais enjeux, c’est de convaincre ces dirigeants d’évoluer sur ces idées » estime-t-elle.

Cependant, certaines entreprises sont plus en avance que d’autres dans leur façon de prendre en compte les leviers de motivation et d’engagement de leurs salariés. On a notamment évoqué l’exemple des entreprises libérées lors de la diffusion le 24 février sur Arte du documentaire Le bonheur au travail. D’autres entreprises, au management traditionnel, voire paternaliste et basée à l’origine sur une organisation taylorienne, cherchent à évoluer pour donner davantage d’autonomie à ses salariés et pour les responsabiliser, en leur faisant confiance.


« Une révolution managériale qui n’est pas forcément facile à mettre en œuvre mais qui porte ses fruits » estime Bénédicte Peronnin, directeur RSE à la direction du personnel groupe Michelin. D’après Richard Widdowson, associé chez Hay Group, « les entreprises doivent veiller à ce que les conditions de travail ne soient pas un frein à la motivation et à l’engagement de leurs salariés, mais au contraire, les stimulent. C’est en parvenant à relever les cinq défis que sont la transparence, la culture d’innovation, la productivité, l’agilité et la collaboration qu’elles pourront créer les conditions de réussite et maintenir le niveau d’engagement de leurs salariés. »

Le Monde, 17/04/2015

Restaurer un travail réellement humain est, sur le long terme, la clé du succès économique"

Alain Supiot 
  À deux pas du Panthéon, dans un élégant bureau tout blanc, Alain Supiot, a répondu à nos questions à l’occasion de la sortie de deux ouvrages : La gouvernance par les nombres (Fayard), qui reprend son cours au Collège de France, où il est titulaire de la Chaire Etat social et mondialisation, et L’entreprise dans un monde sans frontières, un ouvrage qu’il a dirigé aux Éditions Dalloz. Maniant aussi bien la philosophie grecque classique, les théories du Droit que l’Histoire du cinéma (blockbuster hollywoodien inclus), il éclaire par ses idées les changements qui, ici et là, modifient le monde. Pour lui, nous vivons un changement d’imaginaire, de l’horloge à l’ordinateur. Cette mutation met en cause le travail et l’entreprise.
L’Usine Nouvelle - Dans la gouvernance des nombres, qui reprend votre cours au Collège de France, vous parlez d’un basculement, d’un changement de civilisation actuellement à l’œuvre. Comment le caractériseriez-vous ?
Alain Supiot - Pour comprendre les transformations à l’œuvre à une époque donnée il faut identifier l’imaginaire qui la domine. Cet imaginaire partagé imprègne en effet toutes nos façons de penser : les institutions, les arts, les sciences et les techniques. Une des thèses de mon livre est qu’à la révolution numérique correspond un changement d’imaginaire.
Depuis la fin du Moyen âge, les Occidentaux se sont représentés le monde sur le modèle de l’horloge. Depuis l’invention de la machine de Turing et les débuts de l’informatique, ils le conçoivent sur le modèle de l’ordinateur, c’est-à-dire comme une machine programmée et programmable. Cette représentation influence nos manières d’organiser les rapports sociaux et en particulier notre conception du droit et des institutions, c’est-à-dire les règles qui gouvernent et rendent possible la vie en société.
Avant d’aller plus loin, comment caractériseriez-vous la période où le monde est conçu comme une horloge ?
De grands historiens, comme Jacques Le Goff ou Lewis Mumford, ont montré la place centrale de l’horloge dans la naissance des temps modernes. Notre civilisation est la seule à avoir hissé des horloges au sommet de ses lieux de culte, dans tous les villages. La philosophie des Lumières voyait Dieu comme un grand horloger et le monde comme un immense mécanisme régi par les lois de la physique classique, par un jeu inexorable de poids et forces, de masse et d’énergie.
D’où l’idée que l’homme pourrait, par l’étude de ces mécanismes, percer les mystères de la création et se rendre maître de l’univers. Les institutions sont conçues sur ce mode : est souverain celui qui a le pouvoir de fixer des règles générales et abstraites et avec la Révolution, c’est le Peuple – comme entité métaphysique – qui accède à cette place souveraine.
Le taylorisme a transposé d’une certaine façon ce modèle à l’entreprise. Des génies, tels Fritz Lang dans Metropolis ou Charlie Chaplin dans Les Temps modernes, ont dépeint ce que cela impliquait : l’homme est pris dans un grand mécanisme, dans un jeu d’engrenages qui finit par le broyer.
C’est le début du taylorisme que vous évoquez, avec la figure de l’ingénieur et du chronomètre. Vous mettez en évidence dans votre livre une curieuse parenté entre Taylor et Lénine…
Lénine et plus généralement les bolcheviques étaient en effet de fervents adeptes de "l’organisation scientifique du travail" préconisée par Taylor. Ils y ont vu un modèle pour l’organisation de l’URSS tout entière. La planification soviétique a aussi été une première tentative de gouverner par les nombres, mais elle participait encore de l’imaginaire mécaniciste. Comme l’a montré Bruno Trentin dans son grand livre sur "La cité du travail", il y a eu un accord profond du capitalisme et du communisme pour placer le travail sous l’égide de la technoscience et l’évincer ainsi du périmètre de la délibération politique et de la justice sociale.
 Mais Lénine est un précurseur dans sa façon de vouloir étendre à la société tout entière le modèle de l’entreprise, selon le credo aujourd’hui rabâché par les prédicateurs de l’ultralibéralisme et du New Public Management, qui pensent qu’un État doit être géré selon les mêmes méthodes "scientifiques" qu’une entreprise.
Quand et comment s’opère le passage de l’horloge à l’ordinateur ?
Comme souvent, le changement d’imaginaire a commencé dans l’ordre juridique avant de s’exprimer au plan scientifique et technique. La perte de la foi dans l’existence d’un souverain législateur date du XIXe siècle et de la première crise de légitimité de l’État. C’est cette crise qui a donné naissance à l’État social, mais aussi aux expériences totalitaires du XXe siècle qui ont cherché dans la science les "vraies lois" devant régir l’humanité.  Au plan scientifique et technique ce sont dès les années 30, de grandes découvertes mathématiques – notamment celles de Gödel, puis l’invention de la machine de Turing et les débuts de l’informatique, qui marquent ce passage à l’imaginaire cybernétique – ­. Il faut lire à ce sujet les écrits visionnaires de Norbert Wiener, l’une des pères de la cybernétique. Selon lui, on peut penser de la même façon les hommes, les machines et le vivant. Tous sont des dispositifs de traitement de l’information.
Trois concepts jouent un rôle essentiel dans cette nouvelle vision de l’homme et du monde : le programme, le feedback (aujourd’hui nous dirions la "réactivité") et la performance. "L’homme machine" des XVII-XVIIIe siècles disparaît, ou plus exactement il se métamorphose en "machine intelligente", machine programmable par des objectifs chiffrés.
C’est exactement à la même période de l’immédiat après-guerre que débute la "révolution managériale" avec notamment l’invention de la direction par objectifs, due notamment à Peter Drucker. Il faut souligner que ce dernier mettait en garde contre les limites de sa méthode. Pour lui, l’évaluation devait demeurer une autoévaluation et ne pas servir à un "contrôle de domination" qui ruinerait ses effets.
Le fantasme aujourd’hui poursuivi est celui d’une mise en pilotage automatique des affaires humaines

Bien sûr on s’est empressé d’oublier ces mises en garde et de s’engouffrer dans ces impasses. De la même façon que le taylorisme, cette nouvelle conception de la direction des hommes par objectifs chiffrés, après avoir été conçue pour les entreprises, a été étendue à la société tout entière. Avec pour effet une nouvelle restriction du champ laissé au politique et à la délibération démocratique. Ce n’est plus seulement le travail en tant que tel, mais aussi sa durée et son prix qui devraient être soustraits au politique pour être régis par les mécanismes autorégulateurs du marché.
Là où le libéralisme économique plaçait encore le calcul économique sous l’égide des lois, l’ultralibéralisme place les lois sous l’égide du calcul économique. Le fantasme aujourd’hui poursuivi est celui d’une mise en pilotage automatique des affaires humaines, comme on peut le voir dans le Traité sur la gouvernance de l’Union monétaire européenne, qui prévoit des mécanismes "déclenchés automatiquement" en cas d’écart dans la réalisation de trajectoires chiffrées.
"On pense le travailleur sur le modèle de l’ordinateur au lieu de penser l’ordinateur comme un moyen d’humaniser le travail", écrivez-vous. N’est-ce pas là ce qui résume votre pensée sur le travail ?
La question du travail est effectivement centrale, car c’est dans le travail que, pour le meilleur et pour le pire, l’homme inscrit les images qui l’animent dans l’ordre des réalités du monde et qu’il se confronte à ces réalités. Autrement dit, on ne peut penser le travail sans dépasser la dichotomie du sujet et de l’objet. Faute d’un tel dépassement nous sommes condamnés à ce que le grand géographe Augustin Berque appelle la "forclusion du travail".
Permettez-moi, pour éclairer ce point, de revenir un peu arrière, à la fin de la Première Guerre mondiale. Deux leçons passablement antinomiques ont été tirées de cette expérience épouvantable. La première et je n’y reviens pas, fut la possibilité d’une "mobilisation totale" de la ressource humaine et l’extension du taylorisme à l’organisation de la société tout entière. Possibilité continuée en temps de paix et qui prend aujourd’hui la forme de ce que le Premier ministre britannique, M. Cameron, appelle le Global race, c’est-à-dire une course mortelle pour survivre sur un marché devenu total.
La gouvernance par les nombres prétend programmer l’usage des facultés cérébrales

La seconde leçon fut inscrite par le traité de Versailles au fronton de l’Organisation internationale du travail : "il n’est pas de paix durable sans justice sociale", d’où la mission confiée à cette Organisation de garantir à l’échelle du globe l’établissement d’un "régime de travail réellement humain". SI l’on prend cette notion au sérieux au lieu de la cantonner aux seules conditions de travail (durée et salaire), on est conduit à identifier deux formes de déshumanisation du travail.
La première est celle du taylorisme immortalisée par Chaplin : c’est un déni de la pensée et la réduction du travail à l’obéissance mécanique à des ordres. Ce qu’en droit du travail on a appelé à la même époque la subordination. La seconde est un déni de la réalité et l’assimilation du travail à un processus programmé de traitement d’information. C’est à cette forme de déshumanisation que conduit la gouvernance par les nombres, dès lors qu’elle asservit le travailleur à la satisfaction d’indicateurs de performance chiffrés, à l’aune desquels il est évalué indépendamment des effets réels de son travail.
L’indicateur se confond alors avec l’objectif, coupant le travailleur du monde réel et l’enfermant dans des boucles spéculatives dont il ne peut sortir que par la fraude ou la dépression. À la différence du taylorisme, qui interdisait de penser et condamnait à l’abrutissement, la gouvernance par les nombres prétend programmer l’usage des facultés cérébrales en vue de la réalisation de performances quantifiables. Je donne ainsi l’exemple d’un réseau bancaire ayant donné pour objectif à ses salariés, non pas d’atteindre un certain chiffre d’affaires, mais d’atteindre un chiffre supérieur à celui des autres agences, qui s’affichait en temps réel sur leurs ordinateurs.
Cette déconnexion du travail de la réalité de ses produits met en péril, non plus la santé physique, mais la santé mentale, avec la montée depuis les années 90 de ce qu’on appelle les risques psychosociaux. Se représenter l’être humain comme un ordinateur programmable n’est pas moins, mais encore plus délirant que se le représenter comme une pièce d’horlogerie, et cela fait courir des risques qui ne pèsent pas seulement sur les individus mais sur l’organisation tout entière, qu’il s’agisse de l’entreprise ou de la société dans son ensemble
Qui est responsable ? Les dirigeants ?
L’un des traits les plus préoccupants de la gouvernance par les nombres est que plus personne n’est responsable, au sens plein de ce terme. Car à la différence du taylorisme, elle affecte aussi les dirigeants, qui sont eux aussi "programmés" pour réaliser des objectifs quantifiés. Autrement dit qui ne sont pas dans l’action, mais dans la réaction à des signaux chiffrés, qu’il s’agisse du cours de bourse ou des sondages d’opinion.
La gouvernance par les nombres menace-t-elle l’entreprise comme institution ? De quelle manière ?
L’entreprise est l’institution la plus menacée par la Gouvernance par les nombres. Les lois qui ont mis en œuvre les recettes de la Corporate governance — notamment dans le domaine comptable ou de la rémunération des dirigeants — ont permis d’asservir ces derniers aux objectifs de création de valeur pour l’actionnaire, plongeant les entreprises dans un court-termisme incompatible avec la véritable innovation. C’est sur ce genre de réformes que devraient revenir ceux qui prétendent "aimer l’entreprise". Plutôt que de s’acharner à faire disparaître le repos dominical, on ferait bien de s’inspirer de l’exemple des grandes entreprises allemandes, qui ont décidé de déconnecter leurs cadres de leur messagerie pendant leurs heures et jours de repos. Restaurer un travail "réellement humain" est, sur le long terme, la clé du succès économique.
Propos recueillis par Christophe Bys

En pleine mutation, GDF Suez se renomme Engie

Oubliez GDF Suez. A partir d’aujourd’hui, le champion français du gaz se renomme Engie, a-t-il annoncé par surprise vendredi 24 avril. Une façon d’accompagner la profonde mutation engagée par le groupe, que la crise du gaz en Europe a amené à revoir en profondeur sa stratégie et son organisation interne. Pour le PDG Gérard Mestrallet et celle qui doit lui succéder, Isabelle Kocher, l’heure était venue d’abandonner le nom actuel, avec sa double référence à l’ancien monopole Gaz de France et à la compagnie fondée en 1858 par Ferdinand de Lesseps pour creuser le canal de Suez.


La modification de la raison sociale ne sera soumise à l’assemblée des actionnaires que dans un an. Mais dès samedi, le groupe va installer son nouveau logo bleu clair sur les façades de ses trois tours de la Défense, près de Paris, de son centre de recherche de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) et de son grand immeuble de Bruxelles (Belgique). Ses milliers de camionnettes vont aussi changer d’habillage. Une importante campagne publicitaire, y compris télévisée, est prévue en France et en Europe. Au total, l’opération coûtera quelques dizaines de millions d’euros.

Pourquoi Engie ? Beaucoup penseront à Angie, la ballade la plus connue des Rolling Stones, sur lequelle tant de couples ont dansé depuis 1973. « On l’avait tous en tête », reconnaît M. Mestrallet. D’autres se souviendront d’Engie Benjy, héros d’un programme télévisé pour enfants. Engie est aussi un prénom féminin, apparu il y a quelques années en France, mais encore très rare – il n’a pas été donné plus de 50 fois à ce jour.


Avec leur agence Publicis, les dirigeants de GDF Suez ont surtout cherché un nom court, prononçable dans toutes les langues, et qui évoque l’énergie. Au-delà de GDF Suez, il pourrait remplacer à terme d’autres marques du groupe, comme Cofely, Electrabel, etc. « Rien n’est décidé, mais nous souhaitons aller loin, et qu’Engie devienne notre porte-drapeau dans le plus grand nombre possible de pays et d’activités », précise l’actuel PDG.

Au départ, c’est Suez Environnement, la filiale à 34 % de GDF Suez dans l’eau et les déchets, qui devait changer de nom, et effacer toute référence à Suez, notamment pour s’émanciper du groupe d’énergie. Mais M. Mestrallet, décidé lui aussi à revoir l’identité de son entreprise, a obtenu la priorité. Il y a quelques mois, Suez Environnement a donc abandonné son projet, et gardé son nom. En tout état de cause, il n’y aura plus qu’un seul Suez.

Marquer une distance

Quatre motifs poussent généralement les sociétés à modifier leur nom. Parfois, il s’agit de rompre avec un passé trop lourd, comme lorsque la vénérable Générale des eaux, au parfum de scandales et de corruption, s’est rebaptisée Vivendi. Les fusions constituent aussi des moments-clés : en 2005, Sagem et Snecma ont préféré s’appeler Safran que de maintenir un des deux noms d’origine. La volonté d’avoir une marque simple, utilisable partout, justifie également des changements, comme lorsque Séchilienne-Sidec s’est mué en Albioma. Dernier cas, les entreprises qui ajustent leur nom après une évolution de leur métier, à l’image d’Imetal devenu Imerys après avoir abandonné le métal.

GDF Suez relève un peu de toutes les catégories. « Nous ne renions rien de notre passé », affirme M. Mestrallet. Comme lorsque France Télécom est devenu Orange, effacer GDF est néanmoins une façon de marquer une distance avec l’ex-groupe public, donc avec l’Etat qui contrôle encore 33 % du capital. Une façon aussi de prendre un nouvel élan, après des années difficiles – GDF Suez a perdu presque 10 milliards d’euros en 2013, et souffre toujours de la crise. Ce changement intervient également alors que la fusion de 2008 entre GDF et Suez, puis celle de 2011 avec International Power, ont été menées à bien.

Simultanément, M. Mestrallet a voulu un nom facile – « cinq syllabes, c’était trop long » –, et qui couvre toutes les énergies dont le groupe se veut désormais spécialiste. Sur ce point, cependant, Engie rappelle avant tout les lettres NG, prononcées à l’anglaise. NG, comme « natural gas ». « Personne n’y avait pensé !, assure le PDG. Mais comme cela, si certains sont nostalgiques de Gaz de France, je pourrais leur dire : “Ecoutez bien, il y a du gaz naturel à l’intérieur.” »

Le Monde, 24/04/15

Les mannequins torse nu devant les magasins Abercrombie, c'est fini !

La marque de vêtements a annoncé des changements dans sa stratégie marketing. Elle renonce à toute discrimination à l'embauche et assouplit également son code vestimentaire.



Déambulant devant les magasins Abercrombie & Fitch du monde entier, ils font le bonheur des adolescentes, qui rougissent en leur demandant un selfie. Mais les mannequins aux abdos censés rameuter les clients à l'intérieur des boutiques de la marque ne seront bientôt plus qu'un souvenir. Le distributeur de vêtements a annoncé ce vendredi un changement radical de management.

Les jeunes hommes qui gardaient -torse nu- les entrées des magasins ne feront plus partie du paysage à partir de la fin du mois de juillet. «Il n'y aura plus de communication sexualisée dans notre stratégie marketing», a précisé la marque dans un communiqué. Les vendeurs ne seront plus non plus considérés comme des «mannequins» mais comme des «représentants de la marque».

Une nuance sémantique lourde de conséquences, puisque l'entreprise sera obligée de revoir son règlement intérieur et son code vestimentaire jusqu'ici très strict. Ils pourront par exemple arborer des signes religieux discrets. Les handicapés seront dorénavant admis dans les rangs de l'entreprise, comme l'a annoncé le directeur d'Abercrombie Christos Angelides dans une lettre envoyée aux directeurs de magasin, révélée par le magazine Forbes1: «Nous ne tolérerons plus de discrimination fondée sur les mensurations ou la beauté ni de discrimination à l'embauche».
Une marque en quête de renouveau

Ce virage à 180 degrés dans la stratégie de l'entreprise intervient alors que les ventes de la marque ne cessent de décliner2. Les ados, le coeur de cible d'Abercrombie & Fitch, se sont trouvés de nouvelles enseignes, tout aussi glamour et au discours plus rassembleur. A&F s'est en effet distinguée ces dernières années pour sa communication provocante, flirtant parfois avec les limites du droit3. De scandales en polémiques4, l'image de la marque s'est écornée. L'entreprise a reconnu fin janvier que ses ventes n'avaient pas atteint l'objectif fixé pour l'année 2014.

Ce changement constitue également la première décision importante de la marque après le départ de son emblématique PDG, Mike Jeffries5. Celui qui avait choisi de faire d'A&F une marque pour les gens beaux et cool n'avait pas réussi à réconcilier le public avec l'entreprise. Celle-ci cherche aujourd'hui son nouveau PDG. Il devra composer avec les investisseurs qui, après des années de déclin, espèrent que la marque retrouve de sa superbe. Ce premier pas vers une nouvelle stratégie donne le ton de ce que devra être l'Abercrombie & Fitch version 2.0.

Le Figaro, 25/04/15

A qui profite la nouvelle guerre des hypers ?

Les distributeurs ont décidé de regrouper leurs centrales d'achats pour obtenir encore plus des industriels. La course au prix bas est relancée.



Des mois de pourparlers, une bonne dizaine de rendez-vous par dossier, des menaces et des contrats déchirés. Comme chaque année, distributeurs et industriels ont négocié leurs tarifs dans la douleur. Mais cette édition a eu quelque chose d'historique : pour la première fois depuis l'apparition des grandes surfaces en France, six des sept grosses enseignes nationales ont pactisé pour créer des mégacentrales d'achats et peser encore plus face à leurs fournisseurs.

Auchan et Système U ont été les premiers à s'unir : dès septembre 2014, le groupement de Serge Papin annonçait avoir confié à son concurrent nordiste un mandat de négociation avec une centaine de gros industriels. Un mois plus tard, c'était au tour de Casino et d'Intermarché de publier leurs bans : ensemble ils ont créé une structure indépendante, Incaa, chargée des achats auprès de 67 fournisseurs. Carrefour et Cora ont clos cette drôle de marche nuptiale en décembre, l'épicier de l'Est déléguant ses pouvoirs à son partenaire six fois plus gros que lui. Chacun des binômes pèse plus de 20% en France, plus que les 19,9% de Leclerc, resté seul.

Pourquoi de telles manœuvres entre frères ennemis ? Pour tenir le coup en pleine guerre des prix : l'an passé, les distributeurs ont massacré de 2% les étiquettes des grandes marques nationales. «Ils s'unissent pour obtenir de bonnes conditions d'achat et rester dans le combat, résume Olivier Dauvers, expert du secteur. Pas sûr pourtant qu'il y ait un vainqueur.»

Les multinationales sont plus que jamais sous pression

Durant les négociations, achevées fin février, des chiffres ont circulé, faisant rêver les uns et trembler les autres : grâce à leurs rapprochements, les distributeurs pouvaient espérer soutirer plusieurs centaines de millions d'euros aux industriels. Le résultat de deux effets. D'abord, l'alignement, à la baisse, des tarifs obtenus par chaque partenaire : si, en 2014, un fournisseur facturait un produit 1 euro à une enseigne et 1,10 euro à son binôme, il a souvent dû réduire l'écart en 2015... «Ils ne sont pas censés se communiquer leurs tarifs, mais ils le font, dénonce un industriel. On le sent bien lors des discussions dans les box.» Les épiciers tirent aussi profit de leur nouvelle taille, la menace de déréférencement se faisant plus intense. «Une fâcherie avec une centrale et c'est désormais plus de 20% d'un business qui s'envole, grince Richard Panquiault, de l'Ilec, défenseur des grands groupes. Ils savent nous le rappeler, avec des «problèmes informatiques» étrangement fréquents durant les négociations : un produit n'est pas commandé et disparaît des rayons quelques jours, le temps de faire monter la pression chez l'industriel.»

Les PME n'échappent pas à la guerre des prix

Promis juré, seuls les géants internationaux ont affaire à ces mégacentrales ! En fait, selon nos informations, plusieurs grosses PME françaises seraient parfois concernées : Andros, Delpeyrat, Fleury Michon, Pasquier... (Sauf pour l'Incaa.) «Nous sommes les principales victimes de ces restructurations, déplore un compagnon d'infortune. Avec une forte majorité de notre chiffre d'affaires en France, nous ne pouvons pas risquer de perdre 25% de nos débouchés.» Autres PME menacées, indirectement cette fois-ci : les centaines de fournisseurs de MDD. Comme le prix des grandes marques baisse, les produits blancs deviennent moins compétitifs et leurs ventes dégringolent : - 2,3% en 2014, une chute inédite. «Non seulement les volumes se tassent, mais d'ici quelques mois les enseignes vont jeter un œil dans le cahier des charges de leur partenaire et venir exiger des baisses de tarifs, anticipe un fournisseur de plats élaborés. Ne vous y trompez pas, leur discours officiel - «On est durs avec les méchantes multinationales et conciliants avec les gentilles PME» - c'est de la com !»

Les agriculteurs seront des victimes collatérales

Rappelons-le, une part conséquente de la production agricole française sert à alimenter les usines de fabricants agroalimentaires. «Dès le deuxième trimestre, ces transformateurs à qui les enseignes auront imposé des baisses de tarifs vont se retourner vers leurs fournisseurs de matières premières, c'est sûr, s'inquiète déjà Henri Brichart, vice-président de la FNSEA. Toutes les productions sont concernées, mais le pire est à craindre pour les filières qui étaient déjà déstabilisées par l'embargo russe.» Depuis août dernier, les agriculteurs ont vu les portes de la Russie se fermer et cherchent à écouler leurs stocks en Europe de l'Ouest : éleveurs de porcs, producteurs de pommes et de poires, beaucoup sont trop aux abois pour tenir tête à de potentiels clients. «Cette guerre des prix accélère un mouvement déjà alarmant : à force de ne pas vivre correctement de leur travail, les exploitants ferment ou réduisent la voilure, reprend le syndicaliste. En quinze ans, la France a perdu un tiers de son potentiel de production en fruits et légumes...»

Déstabilisé, Leclerc garde l'avantage

En six mois, le cador des rayons est passé du statut de plus gros acheteur à celui de petit dernier. «Dans les box, ses troupes avaient l'habitude de montrer les muscles sur le thème «Je pèse trop lourd pour que tu me résistes», raconte un expert du secteur. Là, ils ont dû revoir leur argumentaire.» Leur nouveau credo pour garder des conditions avantageuses ? Noircir l'organisation de leurs concurrents devenue incompréhensible, et vanter la simplicité de la leur : chez Leclerc, on parle prix, assortiment et promotions en une fois. Pour rester dans la course, Leclerc garde un autre avantage : ses coûts de structure légers, avec peu d'échelons de décision, une implication bénévole des adhérents. Résultat ? « L'écart de prix devrait se tasser, mais il restera le moins cher», croit savoir Olivier Dauvers.

Les consommateurs ne doivent pas crier victoire

Que le pousseur de Caddie ne se réjouisse pas trop vite : le nouveau trésor des distributeurs ne lui sera pas totalement restitué. D'abord parce que la guerre des prix a été douloureuse pour les comptes des magasins, et que tous ont hâte de refaire leurs marges. Ensuite parce que cette bataille n'a pas stimulé le commerce : les volumes vendus n'ont progressé que de 0,6% l'an passé et les parts de marché des protagonistes n'ont pas été bouleversées. «Mais les prix pourraient continuer à baisser, car aucun acteur ne veut siffler la fin du combat, précise Jacques Dupré, directeur chez Iri. Entre décembre et janvier, période habituellement stable, les étiquettes ont encore flanché.» Si ces rabais se confirmaient, ils devraient surtout concerner les références stars, du shampooing Elsève à la lessive Ariel via le pastis Ricard, ces produits faisant «l'image prix» d'une enseigne.

Les unions risquent de ne pas durer

Les unions semblent pour l'instant heureuses, mais le divorce guette. «Une guerre des prix dure en moyenne trois ans, explique un spécialiste. Ces mariages permettent aux enseignes de tenir, mais n'ont pas vocation à durer, car ce sont des concurrents avant tout !» Intermarché et Casino ont beau y croire, l'alliance d'un mouvement d'indépendants et d'un groupe coté semble difficilement tenable. Idem pour Système U et Auchan, dont le partenariat est en plus déstabilisé par la révélation d'un projet surprenant : les enseignes pourraient échanger des magasins, une idée qui ne fait pas l'unanimité chez U ... Quant à Cora et Carrefour ? Bizarrement, le partenariat le plus déséquilibré est peut-être le plus durable : beaucoup plus petit, Cora n'imagine pas contester le leadership de Carrefour ! Pour l'instant, le distributeur de l'Est semble le grand gagnant : malgré 3% de part de marché, il bénéficie des conditions tarifaires d'un leader. Mais, malgré les démentis, certains ne voient dans ce rapprochement qu'une étape avant un rachat par Carrefour...

Claire Bader

- Carrefour et Cora : 25,3% de part de marché
Date de l'union: décembre 2014
Poids des enseignes : Carrefour 21,9%, Cora 3,4%
Carrefour se charge seul des négociations tarifaires, son partenaire étant beaucoup plus petit que lui. Les plans d'affaires (promos, mises en avant...) sont ensuite décidés indépendamment, dans chaque centrale.

- Intermarché et Casino : 25,8% de part de marché
Date de l'union: octobre 2014
Poids des enseignes : Intermarché 14,3%, Casino 11,5%
Les deux partenaires ont chacun transféré une quinzaine de négociateurs dans une société commune, Incaa. Un acheteur discute tout, des évolutions de tarifs aux promos, pour le binôme.

- Auchan et Système U : 21,6% de part de marché
Date de l'union: septembre 2014
Poids des enseignes : Auchan 11,3%, Système U 10,3%
Le groupement d'indépendants a confié un mandat de négociation au Nordiste. En fait, un acheteur de chaque enseigne est souvent présent dans les box. Les plans d'affaires sont discutés séparément.

En 2014, les prix de 41 produits ont baissé de plus de 3%

Pain de mie : - 6,9%
C'est le produit qui a le plus baissé, devant les compotes et confitures.

Haricots verts en conserve : - 3,9%
Le chiffre d'affaires du segment est passé sous la barre des 250 millions.

Chips : - 3,5%
Les prix de cette catégorie, aux marques fortes, ont été bataillés.

Eau gazeuse : - 4,7%
Alors que les taxes ont poussé le prix des alcools, l'eau a fortement chuté.

Pâtes alimentaires : - 3,2%
Ce rayon reste très important, avec des ventes à 623 millions d'euros.

Shampoing : - 4,6%
Riche en marques fortes, ce segment a été particulièrement disputé.

Capital, 14/04/15

Le management à la coréenne épinglé par l'ex PDG de LG France

Trois ans après son départ de LG, Eric Surdej raconte dans un livre décapant son vécu de cadre européen dans un groupe aux méthodes fondées sur la hiérarchie et le respect de l'organisation.

© LG

Horaires à rallonge, hiérarchie implacable, contrôle permanent, obsession du rendement, intimidation, délation... Depuis que les grands groupes japonais et sud-coréens ont conquis les marchés mondiaux, les pires clichés circulent sur leurs méthodes de management, entre règles militaires et endoctrinement sectaire. La romancière belge Amélie Nothomb les tournait en dérision dans Stupeur et tremblements, où elle raconte son expérience d'interprète dans une multinationale japonaise. Eric Surdej publie aujourd'hui le récit de ses presque dix années à la direction de la filiale française du groupe LG, présent dans l'électroménager, l'informatique, la téléphonie... Ils sont fous ces coréens ! Relate la farouche détermination, poussée parfois jusqu'à l'absurde, d'un manager entraîné dans une course effrénée à l'amélioration des résultats.

Son ambition : être le premier non-coréen à accéder à l'élite des 400 hauts dirigeants du conglomérat. «Sanghou» Surdej, littéralement colonel Surdej, parviendra à ses fins, mais au prix de reniements de plus en plus durs, jusqu'à la chute, quasi fatale dès que le vent des affaires tourne. Malgré le titre provocateur du récit, l'ex-patron porte un regard nuancé sur ces milliers d'hommes (et quelques femmes) voués corps et âme à un objectif collectif. Comme il l'explique ici à management, ils peuvent nous en apprendre beaucoup en termes d'efficacité et de rigueur d'exécution. Des leçons qu'il préfère faire fructifier à son profit - il travaille désormais dans le conseil - plutôt que de se mettre au service d'un autre géant.

Management : En entrant chez LG, vous saviez où vous mettiez les pieds. Pourquoi avoir pris ce poste ?
Eric Surdej : Il y avait de vraies perspectives de développement, car les coréens investissaient massivement dans le high-tech. Il s'agissait aussi d'un défi personnel. On m'avait mis en garde: aucun Européen n'a tenu plus de deux ans à ce niveau de responsabilité dans un groupe coréen. Je me suis dit: je peux y arriver! Je me suis fixé comme règle de m'investir à fond dans les challenges. Même si cela ne rend pas génial, cela permet de rester concentré sur le présent et d'éviter beaucoup d'erreurs.

Management : Mais vous vous êtes heurté à une hiérarchie quasi militaire...
Eric Surdej : Le succès de cette compagnie s'appuie sur sa force collective. J'avais la prétention d'y introduire la valorisation de l'individu. Mais chez eux, le chef a toujours raison - quitte à donner des directives absurdes, uniquement pour tester votre capacité d'obéissance. On m'a forcé à prendre des décisions stratégiques que je jugeais inadéquates. J'ai traîné quelques semaines, mais le rouleau compresseur vous oblige très vite à appliquer les consignes d'en haut. On se retrouve un peu comme des marionnettes aux mains du siège, même s'il faut relativiser: les géants américains de l'industrie du high-tech et de l'internet, qui font rêver tous les jeunes, ont des structures très rigides et laissent très peu de latitude à leurs cadres.

Management : Chez LG, même un directeur de filiale n'a aucune marge de manœuvre ?
Eric Surdej : Si, mais elle est très étroite, un peu comme pour un préfet de région, qui ne peut agir que dans un axe bien défini par le ministre de l'intérieur. Ou un coureur de 100 mètres : il y va à fond, mais reste dans son couloir. Le mien, en l'occurrence, était la réalisation opérationnelle des objectifs dont Séoul bombardait mon président. Pas évident: ils étaient toujours très ambitieux, donc je me retrouvais avec des équipes démotivées dès le début de l'année, persuadées qu'elles n'arriveraient jamais à faire + 30 ou + 40%. Pourtant la méthode a ses bons côtés: une fois l'objectif fixé, on se demande quels moyens il faut se donner pour l'atteindre. Des budgets plus importants ? Des recrutements ? Très bien, on vous accorde tout cela. Ensuite, on décline l'objectif final en une infinité d'objectifs ponctuels à atteindre dans tous les secteurs de l'entreprise. Chaque salarié a ses objectifs, chiffrés semaine par semaine. Tout cela remonte à Séoul, qui, chaque lundi midi, vous envoie l'analyse de vos performances, l'évaluation par rapport aux objectifs. On est dans la rigueur extrême et le contrôle permanent de l'exécution. Il faut l'admettre: c'est efficace! En un peu moins de dix ans, on a multiplié par huit le chiffre d'affaires de la filiale française. Dans ce secteur, ce n'est pas banal.

Management : On a l'impression que vous passiez votre temps en reporting. Quand travaille-t-on réellement ?
Eric Surdej : Tout le temps ! Les journées commencent vers 8 heures et s'achèvent rarement avant 21 heures ou 22 heures, avec deux courtes pauses pour manger. Les réunions ne durent jamais plus d'une heure, et pas question d'y arriver sans aucune préparation! On examine uniquement des faits, on identifie un problème, son responsable, on prend telle décision, et c'est terminé. Il y a une pression permanente pour faire toujours plus vite. «Pali pali», ce qui signifie: «vite, vite !» c'est l'expression qu'on entend le plus dans les bureaux. Jusque dans les toilettes, à Séoul, où le visage du président, sur des affichettes, vous regarde dans les yeux, disant : «Dépêche-toi de retourner au travail !»

Management : Vous avez participé en Corée à des séminaires qui évoquent des camps d'entraînement militaire. Qu'est-ce qui vous motive encore à ce moment-là ?
Eric Surdej : Mes équipes. Je pense alors que je représente 800 collaborateurs en France. Toutes ces années, mon rôle aura finalement été d'ouvrir en grand le parapluie pour préserver mes équipes des nuisances venues de Séoul. J'ai continué à m'accrocher parce que j'avais toujours en tête mes objectifs : on se dit que les résultats justifient tout, même les situations ou les comportements les plus absurdes. J'ai réussi à tenir cette ligne jusqu'au jour où, en 2011, Koo Bon-joon, le nouveau président du groupe, a imposé le coréen comme langue unique à tous les collaborateurs. C'était affirmer l'infériorité irrémédiable des non-Coréens.

Management : Dès que les ventes ont baissé, vous avez d'ailleurs été sacrifié.
Eric Surdej : C'est la règle du jeu: chaque année, quelques dizaines de cadres accèdent au saint des saints, le cénacle des 400 vice-présidents. Autant en sont écartés et exclus définitivement du groupe. J'ai été le premier Européen à y pénétrer, à peine deux ans après être entré chez LG, alors que certains s'épuisent des décennies durant pour y parvenir. On me surnommait le «half-Corean» et j'en garde une grande ferté. Le revers de la méthode coréenne, si efficace quand le marché est porteur, c'est qu'on est incapable de changer de cap quand des difficultés surviennent. Quoi qu'il arrive, on reste arrimé aux objectifs jusqu'à l'année suivante parce qu'il est hors de question de faire perdre la face au top management de Séoul. C'est le meilleur moyen d'aller dans le mur !

Management : Cette expérience a-t-elle fait de vous un autre manager ?
Eric Surdej : J'ai pris ensuite la direction de la Fnac Espagne, mais je n'y ai jamais trouvé mes marques : le choc était trop violent ! J'y avais apporté cette politique d'objectifs très ambitieux, de recherche d'efficacité et de contrôle tatillon dans l'exécution, mais sans l'imposer avec la brutalité des coréens. On m'a vite pris pour un doux dingue. Mais, c'est vrai, je suis devenu beaucoup moins patient qu'avant l'épisode LG. Allons au fait, vite, vite !

Management : Votre livre sort trois ans après votre départ. Le temps de digérer la colère?
Eric Surdej : Non, je l'ai écrit tout de suite après mon départ, mais je n'en ai pas changé une ligne. Je suis dans le même état d'esprit qu'en 2012, avec l'envie de raconter une histoire hors du commun et d'adresser un message à l'économie française. Nous avons un formidable savoir-faire, mais que nous ne savons pas valoriser dans la mondialisation. Ce que les coréens nous apprennent, c'est qu'il faut savoir imposer ses valeurs en se concentrant sur les basiques : travailler de façon réellement collective, plutôt que s'écharper sur les 35 heures.

Bio Express :

1981 : ESC Troyes et MBA en droit des affaires.
1994 : Directeur de la division Electronic Goods de Philips.
1997 : DG de Toshiba Systèmes France.
2004 : DG de LG Electronics France, puis vice-président (2007), et PDG (2010).

Son adaptation à la culture de LG lui a valu le surnom, flatteur, de "half-Corean".

Modèle coréen : le triomphe mondial des conglomérats géants

Créé dans l'immédiat après-guerre, Lucky Goldstar, devenu LG en 1995, est aujourd'hui le troisième conglomérat (chaebol) de Corée du Sud, après Samsung et Hyundai. Il réalise un chiffre d'affaires global d'environ 46 milliards d'euros et demeure majoritairement aux mains de la famille fondatrice, les Koo. LG est présent dans 17 secteurs, de l'électronique grand public à l'électroménager en passant par la chimie, l'armement et les télécoms. La filiale française, créée dès 1991, n'a lancé la marque LG qu'en 2005, sur les produits bruns et blancs ainsi que dans la téléphonie. En 2012, l'année du départ d'Eric Surdej, elle affichait près de 1 milliard d'euros de chiffre d'affaires pour environ 25% de part de marché. Les dirigeants actuels de la filiale, sollicités par Management, n'ont pas souhaité réagir aux propos ni à l'ouvrage d'Eric Surdej, estimant qu'il s'agissait d'une expérience personnelle que le groupe n'avait pas à commenter.

Capital, 21/04/15

Pourquoi Accor se frotte les mains de la mise au pas de Booking

Un partenariat avec TripAdvisor, premier site mondial de conseils aux voyageurs. Et, quinze jours plus tard, une déclaration de guerre à booking.com, leader de la réservation hôtelière en ligne, pour abus de position dominante. En février, le groupe Accor, pour la première fois, a montré ses muscles sur le terrain digital. «Ces dernières années, nous avons beaucoup investi dans la modernisation des hôtels», souligne un dirigeant. C'était sans doute nécessaire mais, pendant ce temps, le groupe est passé à côté de la révolution internet.

En octobre 2013, l'actionnaire de référence, Sébastien Bazin, a repris les choses en main en devenant PDG, puis en recrutant chez Orange la perle rare : vivek Badrinath, chargé du marketing et des systèmes d'information du groupe. Sa mission : rattraper le temps perdu.
L’Autorité de la concurrence vient de rappeler à l’ordre le leader de la réservation en ligne, sommé de mettre fin aux multiples contraintes qu’il imposait jusqu’alors aux hôteliers (interdiction de proposer des tarifs moins chers ailleurs que sur Booking…). Une décision qui fait les affaires du groupe Accor bien décidé à s’affranchir de cette plateforme et à reprendre la main sur le Net.

Des sites devenus tout-puissants. «Le recours à internet s'est banalisé dans le secteur du voyage, constate celui-ci. Pour beaucoup de touristes, la préparation d'un séjour commence avec Google.» Surtout, les agences de réservation en ligne ont envahi le secteur : les deux plus grosses, Booking.com et Expedia, s'accaparent les deux tiers du marché. En position de force, ces nouveaux intermédiaires sont en mesure d'imposer des commissions très importantes, entre 15 et 25%, aux hôteliers, mais aussi de les obliger à aligner leurs prix sur ceux de la concurrence. Deux contraintes qu'Accor et d'autres groupes contestent auprès des autorités de la concurrence, mais qui, en attendant, leur font beaucoup de tort. « Un client qui vient chez nous via un site de réservation n'est pas rentable ! » explique le monsieur digital d'Accor. Autrement dit : il faut absolument capter ce client dès sa première nuit d'hôtel, pour qu'il réserve directement auprès d'Accor les fois suivantes.

Pour cela, 40 personnes travaillent autour de Vivek badrinath à l'élaboration d'une appli unique pour toutes les enseignes du groupe, au lieu des 27 actuelles. Le but : en faire une des deux ou trois applis voyages les plus téléchargées sur les smartphones. Et le rapprochement avec TripAdvisor permettra aux 315 millions de visiteurs mensuels du site de réserver directement une chambre dans un ibis, un Novotel, un Softel... sans passer par une coûteuse centrale de réservation intermédiaire.

Marriott s'affiche sur la Toile

L'hôtellerie de luxe prend, elle aussi, la menace digitale au sérieux. La prestigieuse chaîne américaine Marriott (3 600 hôtels dans le monde) s'est offert, en novembre, un ancien des studios Disney, David Beebe, entouré d'une équipe marketing d'une soixantaine de personnes. Leur mission: «créer des contenus forts pour rassembler des communautés de passionnés du voyage.» le groupe a déjà engagé des partenariats avec Snapchat et Youtube.

Ancien expert de chez orange, Vivek Badrinath a pris en main la stratégie digitale du groupe. Une de ses premières initiatives: un partenariat avec TripAdvisor, le leader mondial des sites de conseils aux voyageurs.

- 225 millions d'euros en cinq ans pour le plan digital d'Accor.
- 70% des clients consultent les sites de conseils aux voyageurs du type TripAdvisor.

Francis Lecompte
Capital, 22/04/15

lundi 25 mai 2015

INSEE - Tableau de bord de la conjoncture en France



La conjoncture économique française en 15 graphiques , mis à jour en continu. Au troisième trimestre 2014, le PIB augmente de 0,3 %, la consommation des ménages en biens diminue de nouveau (-0,9 % après –0,5 %), la confiance des ménages gagne 2 points et l’emploi marchand recule au troisième trimestre 2014.


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