dimanche 21 décembre 2014

Rénovation du BTS CG(O)

Le BTS CG entre dans une nouvelle approche de la formation aux métiers de la comptabilité et de la finance.

Les textes officiels :
Les éléments réglementaires de conditions de délivrance du diplôme ont été publiés au JO du 3/12/2014.
dans le BOEN
dans le BOESR

Le référentiel est constitué :

du référentiel des activités professionnelles qui décrit les champs de l’activité professionnelle du titulaire du diplôme une fois engagé dans l’un des emplois auxquels la formation le destine (types d’organisations, contextes professionnels, variabilité des activités…), l’articulation de ces activités et le profil du titulaire du diplôme. Ce document est très important dans la mesure où il forme le socle de toute la légitimité de la formation, exprimant le positionnement professionnel de référence pour ce diplôme. Il constitue également un support de communication avec les professionnels qui accueillent les étudiants en stage ainsi qu’avec les familles.

du référentiel de certification du domaine professionnel qui détaille les activités présentées dans la partie précédente. En particulier, à chaque composante d’activité est associée une compétence. La compétence est située, décrite à partir des données caractéristiques des composantes. Le référentiel de certification du domaine professionnel recense donc les compétences à acquérir pour pouvoir exercer les emplois décrits précédemment, et d’autre part, les connaissances associées à ces compétences. Si les compétences constituent l’élément clef de la formation, elles ne prennent sens que parce qu’elles sont situées. A ce propos, les données fournissent de précieuses indications sur le contexte de mise en œuvre des compétences. Les résultats attendus complètent l’analyse des activités, et constituent également les éléments à privilégier lors de l’évaluation.

Ce document est disponible ici : le référentiel

Des vidéos destinées aux élèves de terminale (Bac général et technologique, Bac professionnel GA) puis aux futurs étudiants (accompagnement sur le passeport professionnel). Elles sont téléchargeables pour permettre une large diffusion, ici :


Le BTS Comptabilité et Gestion




Le passeport professionnel



samedi 20 décembre 2014

Quel devenir pour les bacheliers professionnels ?

Geneviève Fioraso va-t-elle couper ou ouvrir le robinet de la réussite des bacs professionnels ? Elle annonce aujourd'hui "le développement de nouvelles filières professionnelles". Pour Marie-Christine Corbier, des Echos, il s'agit, face à la progression du nombre de bacheliers professionnels dans le supérieur, de créer une nouvelle filière qui leur serait réservée. Elle faciliterait leur réussite dans le supérieur. Mais ne risque-t-elle pas d'être une nouvelle voie de relégation pour ces bacheliers d'origine populaire ?


Selon Les Echos, la ministre décide de créer "  un parcours spécifique et adapté aux bacs pros, leur permettant d’accéder à un diplôme de niveau III puis, le cas échéant, à une licence professionnelle suivie, dans certains cas, d’une formation plus longue, grâce à des passerelles vers des masters ou des écoles d’ingénieurs". Il s'agit pour la ministre de satisfaire des besoins exprimés par les professionnels mais aussi "de juguler la hausse des bacs pros".

Un essor difficile à gérer

En effet , la ministre doit faire face à un extraordinaire essor des bacheliers professionnels. Ce sont eux qui ont porté l'augmentation du taux d'accès au bac. En 2000, on ne délivrait que 93 000 diplômes du bac professionnels. En 2010 on en était à 119 00 et en 2013 à 159 000. Pour Vincent Troger, ce succès du bac professionnel s'est accompagné d'une certaine banalisation de la voie professionnelle. Alors qu'à l'origine le bac professionnel était vu comme un diplôme de fin d'études, la voie professionnelle serait devenue un chemin d'accès pour accéder plus facilement à l'enseignement supérieur. De fait un pourcentage croissant de bacheliers professionnels poursuivent dans le supérieur. Ils étaient 17% en 2000. Ils sont maintenant le double (33%). Les trois quarts poursuivent en BTS et un quart en université. Ils représentent maintenant 27% des inscrits en STS (voie menant au BTS).

Depuis 2014, la ministre a mis en place des quotas académiques qui facilitent l'entrée des bacheliers professionnels en STS. Et ça commence à porter des fruits. "Le nombre de propositions d’admission en BTS/BTSA faites aux candidats d’une terminale professionnelle s’est accru de 12,5 % (+ 4 761)", révèle le rapport de la députée S. Doucet remis en novembre 2014. Et en apparence ces bacheliers réussissent assez bien en BTS : leur taux de réussite est de 60% contre 77% pour les bacheliers technologiques et 86% pour les bacheliers généraux.

Une chute de niveau inquiétante ?

Mais le rapport de S. Doucet s'inquiétait aussi de la baisse de niveau résultat de la réforme du bac professionnel. Elle cite la Fédération de l’enseignement privé (FEP)-CFDT qui s’inquiète du niveau des bacheliers professionnels "au motif que le nouveau « bac pro » leur aurait fait perdre « l’habitude du travail » . Cela proviendrait du nouveau jeu des coefficients qui rend possible l’obtention de ce diplôme en concentrant les efforts sur les matières professionnelles et les stages et en délaissant les matières générales telles que le français, les langues étrangères, les mathématiques et l’histoire-géographie. L’entrée en STS pourrait, selon le rapport, constituer une « rupture qualitative » pour ces bacheliers. Ces propos sont confirmés par des professionnels cités par S. Doucet. "Les représentants de la CPME ont considéré que le « fléchage » des bacheliers professionnels vers les STS risquait de conduire à une baisse du niveau du brevet de technicien supérieur". Interrogée par le Café pédagogique, elle confirme. "C'est aussi l'avis du syndicat des chefs de travaux. Ils mettent en avant la qualité des BTS et ne veulent pas la perdre en s'ajustant aux bacs pros. La reforme du bac pro pose une question de niveau et de compétences". Pour S Doucet il y a bien "un risque de décrochage" du BTS.

La démocratisation en question

La position des bacs professionnels illustre les ambiguités du système éducatif. Et la démarche de la ministre en est aussi empreinte. Le bac professionnel a permis de démocratiser le bac. C'est à travers le bac professionnel que les jeunes des milieux populaires accèdent au bac. On compte trois fois plus de titulaires du bac professionnel que du baccalauréat général chez les ouvriers (34,3 % contre 11,4 %) et un rapport inverse chez les cadres (10 % contre 36,1 %). Le système éducatif a démocratisé le bac en créant une nouvelle voie réservée aux enfants des classes populaires plutôt qu'en les aidant à accéder à un bac général. 

Il leur a ensuite ouvert l'accès au supérieur mais à travers une filière spéciale et en bloquant les vraies voies de promotion. Le taux de réussite à la licence en trois ans des bacheliers professionnels est de 3,1 % seulement. En comparaison avec les étudiants issus d’un « bac » scientifique, leur chance de réussite est presque 10 fois moins élevée. On retrouve la même inégalité pour le BTS. Seule la moitié des bacheliers professionnels inscrits en STS a obtenu un BTS en trois ans, ce qui est nettement moins que les bacheliers technologiques (73 %) et les bacheliers généraux (85 %). La démocratisation s'est accompagnée d'une ségrégation croissante entre les filières. Finalement, S Doucet pense que le contrat social proposé par la Nation à ces jeunes est totalement "faussé".

Massification vs démocratisation

Il faut ces éclairages pour comprendre les enjeux de "nouvelles filières professionnelles" proposées par la secrétaire d'Etat à l'enseignement supérieur. D'un coté elle doit faire face à un afflux constant de bacheliers professionnels qui supposerait une ouverture massive de BTS. Il lui faut trouver des structures d'accueil plus économiques pour ces jeunes. Le cout d'une scolarité en BTS est de 13 510 euros soit nettement plus que celui d'un étudiant en université 10 940 €.

Il faut également permettre la réussite de ces jeunes. Et le développement d'une voie spécifique avec une pédagogie adaptée est un réponse. Elle serait saluée positivement par les enseignants de BTS qui sont à la peine avec un taux croissant de bacheliers professionnels comme le montre le rapport Doucet.

En même temps cette nouvelle voie peut être un piège. La création des bacs professionnels a finalement empêché une véritable démocratisation du lycée en reléguant les enfants des milieux populaires dans des lycées particuliers et un diplôme particulier qui signifiait une fin d'études. La création d'une voie nouvelle dans le supérieur pourrait avoir la même signification. Pour que le supérieur ne change pas et reste réservé aux mêmes enfants, on dirige les jeunes des milieux populaires vers une nouvelle voie et de nouveaux diplômes.

François Jarraud
Le café pédagogique,
19/12/2014

lundi 15 décembre 2014

L'économie sociale et solidaire, une réponse à la crise

L'ESS innove contre la crise. Son défi : montrer que l'on peut associer performance économique et défense des valeurs de solidarité. Sa promesse : donner la priorité aux personnes.

La notion d'économie sociale et solidaire (ESS) s'est peu à peu imposée dans le débat social. De nombreuses collectivités territoriales ont désormais un élu en charge du développement de l'ESS et soutiennent des structures destinées à y concourir. L'Etat s'y intéresse également, comme en témoigne la nomination d'un ministre délégué en charge de ce dossier. Ce succès tient à la fois aux services qu'elle rend et à la promesse qu'elle porte : celle d'une économie qui répondrait aux besoins de manière soutenable, en donnant la priorité aux personnes et à l'emploi plutôt qu'au profit, et en privilégiant le territoire local.
Un projet politique

La notion d'ESS a émergé ces quarante dernières années. Au-delà des organisations qu'elle rassemble, dont l'origine est ancienne et les pratiques diverses, elle renvoie à un projet politique : faire de l'économie autrement, à travers la convergence de deux mouvements. Le premier, né dans les années 1970, a redonné de la visibilité à l'économie sociale historique (coopératives, mutuelles et associations), définie par ses statuts (non-lucrativité et gouvernance démocratique). Le second, qui se reconnaît dans la notion d'économie solidaire, est né dans les années qui suivirent, afin de répondre aux conséquences sociales de la crise tout en semant les germes d'un autre modèle de développement.

Plus de 2,3 millions de salariés 

L'économie sociale et solidaire (associations, coopératives et mutuelles) emploie plus de 2,3 millions de salariés, soit 10 % de la population active occupée. Elle mobilise des millions de bénévoles et rassemble des adhérents et des sociétaires qui se comptent par dizaines de millions. Son positionnement est cependant très spécifique : 80 % de ces emplois sont regroupés dans des activités qui pèsent 20 % de l'emploi total. Elle est particulièrement présente dans l'action sociale, la santé, l'éducation, la formation, la culture, les loisirs et les activités financières. En revanche, elle pèse peu dans l'industrie, le bâtiment et dans de nombreux services marchands. Seules les sociétés coopératives et participatives (Scop) sont présentes dans de nombreuses activités, mais leur poids (43 000 salariés) demeure limité.

L'économie solidaire a ainsi pris la forme d'initiatives visant à offrir des emplois à des personnes victimes du chômage de masse (insertion par l'activité économique de personnes jugées inemployables, microcrédit, finance solidaire, etc.). Elle a également promu des formes d'échange et de coopération plus équitables (commerce équitable, systèmes d'échanges locaux, monnaies complémentaires). Elle a, enfin, appuyé toutes les formes de production plus soutenables (énergies renouvelables, agriculture biologique).
Des modèles économiques très variés

Les organisations de l'économie sociale et solidaire suivent des modèles économiques très variés. La plupart des coopératives et des mutuelles sont totalement insérées dans le marché et sont en concurrence frontale avec leurs rivales capitalistes, au risque d'adopter les mêmes stratégies. Mais cette dérive, qu'on a vue à l'oeuvre notamment dans le secteur financier, n'est pas générale, et certaines banques coopératives et certaines mutuelles associent avec succès performance économique et défense des valeurs de solidarité.

A l'autre extrémité du spectre, nombre de grandes associations sont étroitement liées à l'Etat social et dépendent des financements assurés par la sphère publique, en contrepartie des missions qui leur sont confiées (action sociale, santé, éducation, par exemple), tout en contribuant à la définition des politiques publiques. D'autres associations, enfin, actives dans les domaines de la culture, du sport, du tourisme, de l'éducation populaire ou des services aux personnes bénéficient de ressources hybrides, la collectivité les aidant à mettre à disposition de tous les publics, même les moins solvables, les services qu'elles proposent.

Novembre, mois de l'ESS

Ce dossier est réalisé en partenariat avec le Conseil national des chambres régionales de l'économie sociale (CNCRES). Il est publié à l'occasion du Mois de l'économie sociale et solidaire (ESS) qui, depuis 2008, se tient en novembre de chaque année. Durant ce mois, partout en France, de multiples événements (rencontres, projections, concerts…) valorisent et rendent publiques des initiatives qui font l'économie autrement. Les acteurs de l'économie sociale et solidaire sont représentés par 26 chambres régionales (CRES) qui soutiennent le développement des entreprises de l'ESS dans les territoires. Créée en 2004, la CNCRES structure et anime le réseau de ces chambres, et favorise une meilleure reconnaissance de l'ESS au niveau national par différents types d'actions comme le Mois de l'ESS. La prochaine loi sur l'économie sociale et solidaire permettra aux CRES et au CNCRES de voir reconnu leur rôle d'utilité publique, d'améliorer la représentation des acteurs de l'ESS devant les pouvoirs publics en région, de renforcer leur assise et d'harmoniser leur modèle économique.

En savoir plus
www.cncres.org et www.lemois-ess.org

Ces organisations ont en commun de civiliser l'économie, de la démocratiser, ne serait-ce qu'en introduisant du pluralisme dans les formes d'organisation productive. Elles témoignent que l'entreprise privée capitaliste n'est pas l'unique forme d'organisation apte à produire efficacement des biens et des services, et que l'enrichissement personnel n'est pas le seul motif qui peut donner envie d'entreprendre. Elles renouent, enfin, avec la promesse portée par les utopistes du XIXe siècle : celle d'une économie qui se donne pour but de répondre aux besoins humains. De quoi contribuer à rendre notre société plus douce et démontrer en actes qu'une alternative est possible.
Un potentiel de développement

L'économie sociale et solidaire a-t-elle vocation pour autant à occuper tout le champ de l'économie ? On peut en douter au vu de la place très spécifique qu'elle occupe aujourd'hui (voir encadré). En revanche, elle a un rôle majeur à jouer dans l'émergence de solutions à la triple crise économique, écologique et démocratique à laquelle nous sommes confrontés. Une société plus soucieuse de réduire ses consommations matérielles et de privilégier le bien-être de ses membres donnerait plus de place aux services aux personnes, aux dynamiques territoriales, aux circuits courts, aux énergies renouvelables, au recyclage généralisé et à l'emploi pour tous. Autant d'activités dans lesquelles l'ESS a fait oeuvre de pionnier.

De même, une société qui privilégierait la démocratie à tous les niveaux favoriserait les sociétés de personnes à but non lucratif ou à lucrativité limitée. Elle donnerait aussi davantage d'espace aux organisations dont les objectifs convergent avec ceux des collectivités territoriales. C'est pourquoi les pouvoirs publics, à tous les niveaux, doivent contribuer à faciliter son développement, et c'est d'ailleurs à cette fin qu'une loi est soumise au Parlement cet automne .
Efficacité et légitimité, le double défi

Le développement de l'économie sociale et solidaire, en termes de poids dans l'emploi total, va cependant demeurer étroitement corrélé au niveau de socialisation des revenus, compte tenu de la part dominante en son sein des grandes associations qui produisent des services non marchands ou subventionnés. La pression à la baisse des prélèvements obligatoires joue donc négativement pour l'ESS, même si, parallèlement, la Banque publique d'investissement (BPI) lui destine une enveloppe spécifique. Par ailleurs, dans un contexte de recherche d'opportunités de marché par le secteur privé lucratif, l'ESS subit la concurrence des sociétés de capitaux. On le voit dans le domaine des maisons de retraite, de la garde d'enfants ou des mobilités douces…

Dans ce contexte, l'émergence de la notion d'entreprise sociale est une bonne chose quand elle signifie qu'on peut marier efficacité entrepreneuriale et fidélité à un objet social solidaire. Elle risque cependant d'avoir un petit goût de retour en arrière quand elle laisse planer l'idée que les entrepreneurs sociaux pourraient se substituer à un Etat social en recul, grâce à l'aide apportée par la charité privée ou le mécénat d'entreprise.

Le potentiel de développement de l'ESS dépendra au final de sa capacité à se montrer aussi efficace que les sociétés de capitaux tout en portant une autre vision de l'économie, ouverte à la coopération et produisant des biens et des services à forte utilité sociale, au sein d'organisations gouvernées plus démocratiquement.

Article issu du dossier
L'économie autrement 
Philippe Frémeaux
Alternatives Economiques n° 328 - octobre 2013

samedi 13 décembre 2014

Climat : un bonus-malus planétaire

Contre le changement climatique, il faudrait une taxe carbone mondiale et un marché du CO2entre l'Europe, les Etats-Unis et la Chine.

Le 13 octobre dernier, quatre jours après l'annonce par Ségolène Royal de l'abandon de l'écotaxe poids lourd, Christian de Perthuis, président du comité pour la fiscalité écologique, annonçait qu'il démissionnait de ses fonctions. Il sera difficile en effet de mener à bien la transition écologique si l'on ne met pas en place des mesures rendant plus coûteuses les émissions de CO2 et encourageant les comportements vertueux.

Ce qui est vrai en France l'est aussi à l'échelle de la planète. Sans un prix mondial du carbone, il y aura peu de chances de voir les émissions globales se réduire, rappelle le même Christian de Perthuis, à la tête de la chaire Economie du climat de l'université Paris-Dauphine. A défaut d'un accord sur de tels instruments économiques, la conférence prévue à Paris fin 2015 risque de se réduire à un catalogue de vaines promesses.

Tarifer le carbone

Dans une note publiée le mois dernier, la chaire Economie du climat a décrit ce que pourraient être ces instruments économiques [1]. Côté Etats, l'idée est d'instaurer un système de bonus-malus mondial. Tout pays dépassant le niveau moyen d'émission par habitant de la planète (6,3 tonnes de CO2 en 2011) devrait verser une contribution sur chaque tonne émise au-dessus de ce seuil. Quant aux pays se situant en dessous - les pays les plus pauvres -, ils recevraient une compensation proportionnelle aux émissions qu'ils auraient évitées.

Ce bonus-malus mondial permettrait tout d'abord d'alimenter le Fonds vert. Destiné à aider les pays pauvres à décarboner leur économie, ce fonds annoncé en 2009 (de 100 milliards de dollars par an en 2020) est resté jusqu'ici une coquille vide. Ensuite, il étendrait aux pays en développement la mesure et la vérification des émissions, une condition fondamentale de réussite de tout accord climatique qui, à terme, devra englober tous les pays.

Enfin, pour les pays "surémetteurs", le malus (auquel seraient éventuellement astreints également les pays émergents selon l'année de référence retenue pour le calcul des émissions par tête) inciterait à baisser leurs émissions. Son volume resterait en tout état de cause assez faible par rapport à la taille de leur économie (voir tableau).
Effet d'un bonus-malus calculé sur la base de 7,50 $/t. éq CO2, en 2011

Comment, dans un contexte de crise, les pays riches pourraient-ils financer ce Fonds vert ? Pour Christian de Perthuis, la mise aux enchères des permis d'émission aujourd'hui alloués gratuitement aux entreprises par les Etats ayant mis en place des systèmes de cap and trade (plafonnement des émissions et marché de permis) pourrait en particulier leur apporter les ressources nécessaires.

Ces systèmes, qui fonctionnent déjà en Europe, aux Etats-Unis et en Chine, mais en ordre dispersé, pourraient, et c'est la seconde proposition de la chaire, être unifiés. Ces trois entités représentent 56 % des émissions mondiales de CO2 et le regroupement de leurs marchés pourrait faire émerger un prix mondial du carbone qui fait aujourd'hui défaut. A condition toutefois que les permis d'émission ne soient pas trop généreusement alloués par les Etats.

Antoine de Ravignan
Alternatives Economiques n° 340 - novembre 2014

NOTES

(1) Les instruments économiques et la conférence Paris-Climat 2015 (www.chaireeconomieduclimat.org).

Les indicateurs alternatifs sortent de la clandestinité

Les nouveaux indicateurs de prospérité pénètrent de plus en plus les sphères officielles. Tour d'horizon des expériences menées et des premiers enseignements à en tirer * .

Le mois dernier, France stratégie, l'ancien Commissariat général du Plan, le think tank public qui conseille le gouvernement français, publiait une note proposant d'adopter sept indicateurs pour mieux mesurer la qualité de la croissance en France. Nouveaux indicateurs de prospérité et de richesse, indicateurs au-delà du produit intérieur brut (PIB)…, autant de notions de plus en plus discutées dans le monde et qui renvoient à une même volonté : remplacer ou compléter le PIB. Une problématique que la panne durable de croissance que connaissent actuellement la France et l'Europe ne manque évidemment pas de nourrir. Ce débat a désormais quitté les sphères militantes ou universitaires pour faire son entrée dans les palais nationaux.

Le procès du PIB

Les limites du PIB comme principale mesure de l'état d'une société et d'une économie sont désormais largement connues et de plus en plus reconnues, y compris dans les sphères a priori les plus rétives à une telle remise en cause. Cet agrégat ne prend en effet pas en compte les dommages environnementaux et la dégradation du patrimoine naturel. Il ne mesure que la partie monétarisée de la production de biens et de services et néglige donc toute l'autoproduction domestique ou conviviale. Il ne donne aucune information sur le niveau du bien-être ressenti par les membres d'une société ni sur le niveau et l'évolution des inégalités au sein de cette même société. Une fois le procès du PIB instruit, et par voie de conséquence celui de son taux de croissance annuel, encore faut-il se mettre d'accord sur les moyens de compléter le PIB par d'autres indicateurs, voire de le remplacer par un autre type d'indicateur agrégé. Et, là-dessus, les avis divergent et les orientations suivies également (voir encadré page 48).

Même s'il existe aussi de nombreuses expériences intéressantes au niveau local et régional (voir encadré page 49), la France n'est pas très avancée en la matière. En 2009, sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, le gouvernement français avait certes confié une mission à un groupe de travail dirigé par le prix "Nobel" d'économie américain Joseph Stiglitz, secondé à cette occasion par un autre "Nobel", Amartya Sen, qui avait notamment été l'un des concepteurs de l'indice de développement humain (IDH), un indice synthétique alternatif au PIB, mis en oeuvre par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) depuis 1990.

Suite à ces travaux, l'Insee publie désormais un tableau de bord annuel du développement durable, qui compte une vingtaine d'indicateurs. Mais celui-ci reste caché dans les annexes statistiques d'un rapport de plusieurs centaines de pages… de telle sorte qu'il passe aujourd'hui quasiment inaperçu du grand public et du monde politique. La députée écologiste Eva Sas avait déposé il y a quelques mois une proposition de loi visant à inscrire un certain nombre d'indicateurs de ce type dans le processus du débat budgétaire. Notamment pour pouvoir évaluer les politiques publiques à l'aune de leur impact sur les émissions de CO2, sur la santé ou sur les inégalités. Son projet initial avait été retoqué mais elle vient de déposer un texte modifié. On verra quel sort lui sera réservé.
Des initiatives nombreuses à l'étranger

En revanche, d'autres pays sont plus avancés. L'Australie a ainsi mis en place de nouveaux indicateurs de prospérité depuis 2002. Ils portent sur quatre dimensions : la société, l'économie, l'environnement et la gouvernance (voir tableau). Les 26 indicateurs australiens ont été conçus pour permettre aux citoyens de mieux se représenter l'évolution de leurs conditions de vie et de leur environnement, et non pour évaluer l'action des gouvernants. Le monde politique est cependant régulièrement sollicité dans les médias pour commenter ces indicateurs. C'est l'institut national de statistiques australien qui a porté et développé ces indicateurs… bien qu'ils bousculent les représentations traditionnelles des statisticiens.

Des indicateurs alternatifs de nature très différente

Comment remplacer le produit intérieur brut (PIB) ? Différentes voies sont possibles qui recoupent des choix politiques et sociaux divergents. Faut-il chercher, tout d'abord, à reconstituer un indicateur unique à la place du PIB ou au contraire lui préférer des tableaux de bord multi-indicateurs ? Il existe deux sortes d'indicateurs à chiffre unique.

L'indicateur composite rapporte, dans une seule unité, des grandeurs de différents types. C'est le cas par exemple de l'indice de développement humain du Pnud, qui agrège des données concernant le revenu par habitant, le niveau d'éducation et l'espérance de vie. Il s'agit donc d'additionner "des choux et des carottes", avec toutes les questions que posent les conventions concernant la pondération des différentes composantes de l'indicateur.

L'indicateur synthétique consiste, lui, à essayer de traduire en euros ou en dollars tous les éléments délaissés par le PIB (dégradation de l'environnement, travail domestique…). C'est notamment la voie que privilégient le PIB vert ou l'épargne nette ajustée, proposée par la Banque mondiale. De tels indicateurs sont, eux aussi, régulièrement critiqués pour les conventions qu'impose le fait de donner un prix à tout ce qui est compté (nature, bien-être, etc.).

Les indicateurs uniques présentent l'avantage d'être plus faciles à communiquer et à mettre en scène dans le débat public. Mais ils imposent donc également toujours des conventions très critiquables. Les pays présentés dans cet article ont tous préféré des tableaux de bord. Ceux-ci peuvent cependant contenir à leur tour des indicateurs composites et synthétiques.

Mais d'autres choix restent encore à trancher. Pour représenter le bien-être d'une société, faut-il choisir des indicateurs objectifs (taux d'obésité, taux de chômage…) ou privilégier plutôt desindicateurs subjectifs (réponses des individus à des questions qui leur sont posées) ? Les indicateurs subjectifs sont délicats à interpréter : il est démontré que la réponse d'un individu à une question sur son niveau de bien-être dépend de son humeur… et de la dernière question qui lui a été posée ! Les indicateurs "objectifs" permettent certes d'éviter ces biais, mais ils négligent du coup le ressenti des individus qui peut ne pas refléter ces indicateurs objectifs.

Depuis 2011, le Royaume-Uni produit lui aussi un tableau de bord de plus de 30 indicateurs. Regroupés en dix dimensions, ils comprennent notamment le bien-être individuel ou relationnel, l'état de santé des ménages ou la qualité de leur cadre de vie. Une importance particulière est donnée aux indicateurs subjectifs, qui traduisent par exemple l'état d'anxiété des individus ou le sens que les Britanniques donnent à leur vie. Des rapports sont publiés mensuellement pour commenter les performances du pays selon les différentes dimensions du bien-être et certains indicateurs sont utilisés pour étayer les choix politiques, notamment en matière de santé ou de transport. Le Premier Ministre conservateur David Cameron a lui-même porté le projet, qui entre en résonance avec son objectif de "Big society" : celui-ci met l'accent sur l'auto-organisation de la société civile comme substitut à l'action de l'Etat. Et son cabinet suit directement l'initiative.

Australie : un exemple de tableau de bord


Début 2014, la Belgique a adopté une loi visant à mettre en place des indicateurs complémentaires au PIB. Ceux-ci sont encore en cours d'élaboration mais, au niveau régional, la Wallonie s'est dotée depuis 2013 de cinq indicateurs de ce type, qui comptent notamment l'empreinte écologique et un indice de situation sociale élaboré conjointement par l'institut de statistique wallon et la société civile. Il est prévu que ces nouveaux indicateurs fassent l'objet d'un débat au Parlement national chaque année.
La classe politique davantage impliquée

D'autres pays se sont déjà dotés de tels indicateurs ou ont décidé de le faire dans un proche avenir comme l'Allemagne, le Canada, la Finlande, le Japon ou encore la Nouvelle-Zélande. Cette problématique des nouveaux indicateurs n'est donc plus seulement une question qui agite quelques organisations non gouvernementales (ONG) ou quelques universitaires, elle a fait son entrée au plus haut niveau des Etats : pouvoirs exécutif et législatif. Et ce sont même le plus souvent les instituts nationaux de statistiques qui s'en chargent.

France : de nombreuses initiatives au niveau des territoires

"Si les nouveaux indicateurs n'ont guère progressé sur la scène nationale en France ces dernières années, explique Dominique Méda, auteure de la Mystique de la croissance, il convient de rappeler que de nombreuses initiatives ont vu le jour au niveau des régions et des territoires". En partenariat avec l'Insee, l'Association des régions de France (ARF) a ainsi développé un tableau de bord qui contient notamment trois indicateurs phares : l'empreinte écologique, l'indice de développement humain (IDH) et l'indicateur de santé sociale.

La région Nord-Pas-de-Calais avait été pionnière en la matière. Les communes d'Arras ou de l'Artois ont par exemple mobilisé l'IDH pour mieux se représenter les conditions de vie sur leur territoire. Ces initiatives s'appuient souvent sur le travail de fond réalisé par la société civile et des réseaux de chercheurs, notamment le Forum pour d'autres indicateurs de richesse (Fair) qui s'est développé pour assurer un suivi citoyen de cette question et éviter qu'elle ne soit confisquée par quelques experts, comme on a pu le redouter en particulier en 2009 avec la Commission Stiglitz.
En savoir plus

Forum pour d'autres indicateurs de richesse (Fair), www.idies.org/index.php?category/FAIR ;
"Développement durable : la révolution des nouveaux indicateurs", Association des régions de France, accessible sur www.arf.asso.fr/wp-content/uploads/2012/04/rapportfinalARF.pdf ;
"La richesse autrement", Alternatives Economiques Poche n° 48, mars 2011, disponible dans nos archives en ligne.

De plus, la promotion de ces nouveaux indicateurs n'est plus l'apanage de la gauche et des écologistes. En France avec Nicolas Sarkozy ou au Royaume-Uni avec David Cameron, ce sont des conservateurs qui ont porté le sujet. Même si tous ne prônent pas les mêmes types d'indicateurs : ceux portés par le gouvernement de la gauche-écologiste wallonne ne sont évidemment pas les mêmes que ceux privilégiés par la droite conservatrice de David Cameron. Contrairement à la Wallonie, le tableau de bord du Royaume-Uni, pourtant très dense, ne comporte pas par exemple d'indicateur d'inégalités de revenus… Au final, ces expériences ne visent nulle part à remplacer le PIB, mais plutôt à le compléter avec une batterie d'indicateurs.

Par ailleurs, il ne suffit pas de produire de nouveaux indicateurs, encore faut-il les utiliser effectivement pour structurer le débat politique, interpeller les gouvernants et piloter les politiques publiques, voire en élaborer de nouvelles. Aujourd'hui, ces nouveaux indicateurs sont essentiellement utilisés comme des outils de communication grand public, mais ils sont aussi de plus en plus mobilisés dans le débat politique : au Royaume-Uni, ils sont une préoccupation forte du gouvernement. Ils sont appelés à être discutés chaque année au parlement belge. En Allemagne, des experts indépendants seront amenés à commenter régulièrement l'évolution des nouveaux indicateurs…

Le recul suffisant manque cependant encore, la plupart du temps, pour apprécier l'importance réelle prise (ou non) par ces indicateurs dans les processus de décision. Certains experts voudraient également pouvoir évaluer, en amont, l'impact des politiques sur ces indicateurs. Mais cela demandera encore beaucoup de travail pour les chercheurs et les administrations. Rappelons cependant que le PIB et la comptabilité nationale classique ont mis eux aussi plusieurs décennies avant de s'imposer et de devenir le coeur de l'évaluation des politiques publiques.

Lucas Chancel et Damien Demailly
Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014

NOTES AUTEUR

*Cet article reprend les principaux enseignements d'une étude de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri) et de la Fondation Maison des sciences de l'homme (FMSH) : "Les nouveaux indicateurs de prospérité : pour quoi faire ? Enseignements de six expériences nationales", par Lucas Chancel, Géraldine Thiry et Damien Demailly, accessible sur :

L'Europe passe aux SES

L'enseignement des sciences économiques et sociales se développe en Europe. Notamment depuis la crise.

L'enseignement des sciences économiques et sociales (SES) dispensé depuis 1967 dans l'actuelle filière ES des lycées - qui associe économie, sociologie et science politique - est souvent considéré comme une exception française. Un petit tour d'Europe montre cependant que de nombreux pays proposent également des enseignements qui associent l'économie à d'autres sciences sociales, avec pour premier objectif la formation du citoyen. En parallèle avec d'autres disciplines à visée plus professionnalisante. Une tendance que la crise a renforcée.

L'économie n'est aujourd'hui jamais enseignée comme discipline autonome dans le premier cycle de l'enseignement secondaire. Ce qui n'empêche pas d'autres disciplines d'y faire allusion : histoire, géographie, instruction civique, questions politiques, etc. Dans le second cycle, l'enseignement de l'économie a le plus souvent été introduit d'abord dans des cursus professionnels. Il est alors couplé le plus souvent avec celui de la gestion, du droit et d'autres enseignements connexes (comptabilité, marketing, entrepreneuriat…), comme c'est le cas dans les filières "Economie et gestion" en France.

Dans l'enseignement général, l'économie est enseignée dans des filières spécifiques, où elle occupe couramment une place importante, dans l'Hexagone mais aussi en Espagne, en Belgique, en Suède et en Italie depuis 2010 (voir "Entretien"). Elle existe aussi sous forme optionnelle dans les pays où chaque élève construit plus ou moins son cursus (A-level au Royaume-Uni, certains Länder en Allemagne, les pays scandinaves). Mais dans les deux cas, ces enseignements associent généralement l'économie à d'autres disciplines (sciences sociales, droit, gestion) et les programmes sont pensés pour permettre l'acquisition de savoirs propices à l'exercice de la citoyenneté. Le Royaume-Uni fait exception : l'enseignement de l'économie dans le secondaire y réplique les contenus abordés à l'université, mais ne concerne qu'environ 3 % des élèves.

L'Italie adopte à son tour les SES

Entretien avec Doris Valente, professeure d'économie, responsable de l'Association of European Economists Education, Italie 

Propos recueillis par Rémi Jeannin


Qu'est-ce qui a motivé la création d'une série économique et sociale au lycée, en Italie, depuis la rentrée 2010 ?

Donner plus de place à la culture économique et sociale était une demande à la fois d'experts du monde de l'éducation, des associations de professeurs d'économie, d'entrepreneurs et de certains médias. Stefano Zamagni, notamment [1], estimait souhaitable de dépasser, au niveau du lycée, le dualisme entre culture scientifique et culture humaniste, en proposant une culture économique associée au droit, aux sciences sociales, à l'histoire, à la philosophie et aux mathématiques.

Quel premier bilan peut-on en tirer ?

Ce nouvel enseignement a permis de faire entrer le monde contemporain dans les classes tout en dotant les lycéens des outils nécessaires pour commencer à le "lire". Les jeunes Italiens ont aujourd'hui la possibilité de se former aux sciences économiques et sociales, un savoir indispensable dans nos sociétés mondialisées qui vivent des transformations rapides. De quoi devenir des citoyens éclairés et actifs.

En savoir plus :

[1] Président de la Società degli Economisti et professeur d'économie à l'Université de Bologne.

La crise comme booster

Depuis la crise de 2008, ces enseignements ont le vent en poupe. Une série économique et sociale a ainsi été créée en 2010 en Italie. Parallèlement, le nombre d'élèves choisissant l'économie a progressé au Royaume-Uni. En Grèce, l'économie est désormais enseignée aux côtés de la sociologie et du droit dans un enseignement d'"Education civique" obligatoire les deux premières années du lycée, avec un horaire renforcé. C'est dans ce contexte que l'OCDE et le G20 recommandent aussi de développer les compétences des élèves en finance personnelle. On peut cependant penser, avec les membres de l'Association of European Economics Education, que la priorité serait plutôt de donner aux élèves des clés pour comprendre le monde qui les entoure [1].

Rémi Jeannin
Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014

Les étudiants étrangers vont être mieux traités

Oubliée la circulaire Guéant de 2011. Les étudiants étrangers, désormais mieux considérés, vont bénéficier de nouveaux droits. Pour essayer de les attirer dans l'Hexagone.

Fin 2011, de nombreux étudiants étrangers étaient devenus persona non grata en France. Ils avaient beau avoir un master en poche, voire une promesse d'embauche dans une grande entreprise, rien n'y a fait. Plusieurs milliers d'entre eux ont reçu une OQTF, une obligation de quitter le territoire français. C'était le résultat de la circulaire Guéant-Bertrand [1], parue le 31 mai précédent. "Une infamie pour l'image de la France, doublée d'une hérésie économique", selon Julien Blanchet, président de la Fédération des associations générales étudiantes (Fage). La circulaire a été en partie amendée en janvier 2012 [2], mais le mal était fait. Le nombre de nouveaux étudiants étrangers a chuté de 10 % en un an.

"Le 31 mai 2012, moins d'un mois après notre arrivée au pouvoir, nous avons abrogé la circulaire Guéant [3], rappelle Geneviève Fioraso, secrétaire d'Etat chargée de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. L'accueil d'étudiants étrangers est primordial pour la diffusion de la culture française. Il se crée des liens profonds, affectifs, durant les études, qui sont des atouts pour la réussite des étudiants étrangers, mais aussi des relais de croissance pour notre économie, en particulier pour nos exportations.""Nous formons des élites qui mettent leurs compétences au service de l'économie française ou reviennent dans leur pays et sont autant d'ambassadeurs de la France", abonde Khaled Bouabdallah, président de la Communauté d'universités et d'établissements de Lyon Saint-Etienne.
Des problèmes persistants

Moins fréquents, les problèmes n'ont cependant pas disparu. En octobre 2012, Juan, doctorant en droit public à Evry, obtient un rendez-vous en décembre à la préfecture de l'Essonne, soit après l'expiration de son titre de séjour annuel. "Mon interlocutrice m'a demandé un relevé de notes et une attestation d'assiduité, lesquels n'existent pas pour les doctorants, raconte le jeune Mauricien. Elle a refusé le renouvellement de mon titre de séjour parce que mon visa étudiant de 2006 n'était plus à jour, alors qu'il avait été remplacé par un titre de séjour renouvelé chaque année." Juan saisit le tribunal administratif de Versailles, qui lui donne raison en avril 2014, seize mois plus tard. Seize mois sans pouvoir s'inscrire en 3e année de doctorat. "Précédemment, je n'avais pas eu de problèmes avec la préfecture de Paris, souligne-t-il. Il faut harmoniser le traitement des demandes d'une préfecture à l'autre."

Un constat partagé par Amadou, étudiant sénégalais en littérature et civilisation des pays de langue anglaise, arrivé en France en 2010 à l'université de Perpignan. "En septembre 2012, j'ai sollicité un nouveau renouvellement de mon titre de séjour à la préfecture des Hauts-de-Seine, pour poursuivre ma licence à Paris avec une option sciences politiques. On m'a demandé de retourner au Sénégal pour refaire tout mon dossier. J'ai finalement déposé une demande à la préfecture de Seine-Saint-Denis et obtenu un nouveau titre." Mais le jeune homme s'est retrouvé sans-papiers pendant quelques mois.
Simplifier l'accueil

Depuis près de deux ans, l'université de Paris VIII, où 7 300 étrangers de 180 nationalités sont inscrits, a mis en place un guichet unique, regroupant plusieurs intervenants et traitant notamment du renouvellement des titres de séjour. "Nous avons un partenariat efficace avec la préfecture de Saint-Denis, qui dépêche périodiquement un fonctionnaire sur le campus, et nous espérons en nouer un avec celle de Paris, indique la présidente, Danielle Tartakowsky. Les services rendus par ce guichet unique concernent aussi le logement et la couverture sociale." Pour Julien Blanchet, de la Fage, ce dispositif "facilite beaucoup la vie des étudiants étrangers et constitue une démarche moins stigmatisante qu'à la préfecture". A ce jour, 24 guichets uniques sont opérationnels. "Nous favorisons la systématisation de ces structures, insiste Geneviève Fioraso, notamment à l'occasion des regroupements universitaires." Toutefois, les préfectures ne sont pas toutes enclines à dépêcher des fonctionnaires sur un campus, même de manière épisodique, compte tenu de leurs effectifs qui fondent.
Répartition des étudiants étrangers en France en 2012 selon la région d'origine, en %


Principaux pays d'origine des étudiants étrangers en France, en nombre d'étudiants en 2012

Le projet de loi sur le droit des étrangers en France, présenté en Conseil des ministres le 23 juillet dernier [4], devrait cependant améliorer sensiblement les choses. Après un an de cursus en France, les étudiants étrangers pourront demander un titre de séjour pluriannuel pour achever leur licence, entamer un master ou un doctorat. Ce qui devrait aussi désengorger les préfectures (il y a aujourd'hui 5 millions de passages par an en préfecture pour 2,5 millions d'étrangers titulaires d'une carte de séjour, dont 271 000 étudiants, selon le ministère de l'Intérieur). "Il s'agit d'une grande avancée, qui correspond à une revendication historique, insiste Salah Kirane, responsable du dossier à l'Unef. Les étudiants étrangers ne sont plus considérés comme des immigrés devant renouveler annuellement leur titre de séjour et regardés avec suspicion, mais comme des futurs talents qu'il faut bien accueillir et qui veulent s'insérer dans la vie active. Nous serons toutefois vigilants lors des débats parlementaires, pour éviter le renforcement des contrôles, qui accroîtrait le risque de traitement différencié dans les préfectures."

Pas de changement prévu, en revanche, en matière de conditions de ressources. "A l'arrivée en France, puis chaque année, on doit disposer d'un garant dans l'Hexagone et de 7 685 euros sur un compte bancaire, explique Bilal, étudiant algérien à Paris XIII, qui entre en 3e année d'anglais. C'est très dur de mobiliser une telle somme quand le salaire minimum ne dépasse pas 150 euros en Algérie. Donc on s'endette et on fait appel à la solidarité familiale pour alimenter notre compte, se loger…"Augmenté de 25 % en septembre 2011, le seuil de 7 685 euros n'a pas été réduit depuis. Pour autant, les frais d'inscription pour les étudiants étrangers restent particulièrement faibles dans l'Hexagone. La hausse envisagée un moment par Bercy, pour les étudiants en provenance de pays hors Union européenne et pays francophones, a finalement été abandonnée.
Une insertion professionnelle facilitée

Avant même l'examen du projet de loi, un décret du 18 août dernier a assoupli les conditions de séjour des étudiants étrangers afin de favoriser leur insertion professionnelle : ils ne doivent plus obligatoirement demander une autorisation provisoire de séjour (APS) quatre mois avant l'expiration de leur titre. Ce qu'ils oubliaient couramment de faire à temps, les plaçant dès lors en situation difficile. "Faute d'APS, l'entreprise doit publier une offre d'emploi pendant trois semaines et démontrer que les éventuels candidats inscrits à Pôle emploi ne convenaient pas", relève Stéphane Halimi, avocat spécialiste de ces questions chez Héritier & Halimi.

Lorsque l'administration refuse l'autorisation de travail, son cabinet introduit des recours gracieux et/ou hiérarchiques afin de démontrer le besoin de ces talents (spécialisation technique rare ou connaissances d'une zone géographique, par exemple). "Nous ne rencontrons pas vraiment de cas de dumping social, précise Stéphane Halimi. Ces diplômés étrangers occupent généralement des postes hautement qualifiés, bien rémunérés et participent à la croissance de l'entreprise." Le nouveau texte prévoit que la situation de l'emploi ne sera plus opposable aux diplômés d'un master ou d'un doctorat, même s'ils n'ont pas d'APS.

Part d'étudiants étrangers dans les principaux pays d'accueil en 2012, en %

Près d'un quart des étudiants étrangers restent en France pour travailler, tandis que les autres, en grande majorité, repartent dans leur pays, selon l'étude annuelle 2013 [5] de Campus France. "Nous avons formé des Haïtiens qui contribuent au relèvement de leur pays après le tremblement de terre, un de nos étudiants turcs est devenu chef de section au ministère turc des Affaires étrangères et de nombreux diplômés occupent des postes de cadres dans leur pays, permettant de développer des réseaux économiques avec la France", souligne Danielle Tartakowsky, la présidente de Paris VIII. Dans cette université, les étudiants étrangers ne font pas de la figuration : leur taux d'insertion dans l'emploi trois ans après le master est sensiblement supérieur à celui des Français.

Malgré les entraves administratives et les problèmes de logement, fréquents aussi dans d'autres pays, la France a regagné, en 2012, le 3e rang mondial pour l'accueil des étudiants étrangers en nombre absolu (271 000), selon le classement de l'Unesco [6]. Devant l'Australie (249 000) et l'Allemagne (207 000), mais loin derrière les Etats-Unis (740 000) et le Royaume-Uni (427 000). La compétition internationale pour les talents et les actions entreprises par les autres grands pays imposent de poursuivre les efforts pour attirer davantage d'étudiants, notamment en provenance des pays émergents. Même si le nombre de Chinois augmente fortement, les étudiants de ces pays sont très majoritairement anglophones et "peuvent hésiter à choisir la France par rapport à l'image qu'ils s'en font", selon Stéphane Halimi.

En savoir plus :

"Les données de l'immigration professionnelle et étudiante", ministère de l'Intérieur, avril 2013, accessible sur www.interieur.gouv.fr/Actualites/L-actu-du-Ministere/Document-pre paratoire-au-debat-sans-vote-sur-l-immigration-professionnelle-et-etudiante

"Rapport sur l'accueil des talents étrangers", inspections générales des Affaires étrangères, de l'Education nationale et de la Recherche, des Finances et de l'Administration, avril 2013, accessible sur http://cache.media.enseignementsup-recherche.gouv.fr/file/2013/02/4/2013-031_ac cueil_talents_etrangers_254024.pdf
"
Etudiants étrangers et marché du travail. Une comparaison Allemagne-France-Royaume-Uni", Commissariat général à la stratégie et à la prospective, novembre 2013, accessible sur :

Nicolas Lagrange
Alternatives Economiques n° 339 - octobre 2014

NOTES
(5) Enquête TNS Sofres pour Campus France auprès de 20 000 étudiants (novembre 2013), accessible surwww.campusfrance.org/fr/actualite/enquête-tns-sofres-campusfrance Depuis 2010, Campus France est chargée de la promotion de l'enseignement supérieur, de l'accueil et de la gestion des étudiants étrangers, chercheurs, experts et invités.

jeudi 11 décembre 2014

La France en route vers la déflation ?

Le siège de la Banque centrale européenne à Francfort. Pour contrer la menace déflationniste, Mario Draghi a baisser les taux d'intérêt à leur plus bas historique, sans pour autant enrayer le phénomène. 

DÉCRYPTAGE
L’indice des prix a enregistré une nouvelle baisse en novembre, renforçant la perspective d’un scénario dépressif dans l’Hexagone et au-delà.


Ce n’est pas encore une réalité, plutôt une sorte de spectre planant au-dessus de l’économie européenne. Mais la menace déflationniste se précise. Publié jeudi par l’Insee, l’indice des prix à la consommation pour le mois de novembre enregistre une nouvelle baisse - prolongeant la tendance des mois précédents, et faisant écho à des statistiques similaires dans les autres pays de la zone euro. Une aubaine pour les consommateurs ? Non, plutôt les prémisses d’un scénario catastrophe qui inquiète tous les dirigeants en Europe et ailleurs.

QUELS SONT LES CHIFFRES ? 

Selon l’Insee, l’indice des prix à la consommation a baissé de 0,2% en novembre. Sur un an, il affiche une modeste hausse de 0,3%. Cette stagnation concerne la plupart des catégories de prix : produits manufacturés (-1,2% sur un an), alimentation (-0,2%), énergie (-1,1%)… Seuls les services enregistrent une hausse (+1,5%).

L’étude de l’Insee relève même un petit événement : la première baisse de «l’inflation sous-jacente» enregistrée depuis la création de cet indice, en 1990. Celui-ci «permet de dégager une tendance de fond de l’évolution des prix», explique l’institut. Il retranche en effet du calcul les effets de la fiscalité, ainsi que les biens et services dont les prix sont contrôlés par l’Etat ou qui présentent une forte volatilité - comme ceux de l’énergie ou des produits frais, largement fixés au niveau mondial. Résultat ? L’inflation sous-jacente recule de 0,1% sur un mois, et de 0,2% sur un an.


POURQUOI EST-CE INQUIÉTANT ? 

A première vue, cette relative stabilité des prix a de quoi réjouir les consommateurs. En réalité, elle renforce le risque pour l’économie française de tomber en déflation - c’est-à-dire dans une diminution générale et durable des prix. «Voilà déjà un moment que nous sommes en "désinflation", c’est-à-dire face à une inflation positive mais très ralentie, explique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. La déflation commencera lorsque l’évolution des prix sera négative sur une période significative. Il peut y avoir une bonne déflation : celle qui touche un certain nombre de produits importés, comme le pétrole. Mais celle vers laquelle nous nous dirigeons reflète avant tout une économie en stagnation, et des ajustements à la baisse sur les salaires et l’emploi.»

Selon l’économiste, la baisse des prix est liée aux politiques de rigueur budgétaire pratiquées en France et en Europe, et à la sous-activité que connaissent actuellement les entreprises. «Le niveau de chômage élevé pèse sur les salaires, explique Plane. A cause de la faiblesse de la demande, les entreprises baissent leurs prix pour récupérer des parts de marché. Mais c’est une mécanique dangereuse : pour préserver leurs marges, elles vont en effet avoir tendance à réduire les salaires ou leurs effectifs.» Qui plus est, la baisse des prix peut également inciter les consommateurs comme les entreprises à reporter à plus tard leurs investissements, en espérant payer encore moins cher dans l’avenir - avec les conséquences que l’on imagine sur l’activité.

Pour l’ensemble de la zone euro, la hausse des prix n’a été que de 0,3% en novembre. Et ce chiffre recouvre des situations plus préoccupantes encore : pour l’Espagne, novembre a été le cinquième mois consécutif de recul des prix. De son côté, l’Allemagne connaissait sa plus faible hausse de l’inflation depuis près de cinq ans (0,6%). Déjà éprouvé par le Japon, le scénario déflationniste préoccupe donc tous les responsables : du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker à celui de la Banque centrale européenne, Mario Draghi; en passant par les personnalités politiques nationales, telles que la députée socialiste Karine Berger.

QUELLES SOLUTIONS ? 

La prescription habituelle face au risque de déflation est une politique économique plus expansive. Mais la marge de manœuvre des Etats paraît réduite. «La France ne peut pas faire beaucoup plus de ce qu’elle fait déjà, juge Mathieu Plane. Les salaires résistent plutôt bien, les taux de marges des entreprises sont bas. Etre le seul pays en Europe à pratiquer la relance serait voué à l’échec.» En revanche, assise sur ses excédents budgétaire et commercial, l’Allemagne pourrait se voir prier de contribuer davantage à la relance de l’activité dans la zone euro. Une relance que la Commission européenne veut aussi encourager : elle a annoncé fin novembre un plan d’investissement de 300 milliards d’euros - l’essentiel de cette somme provenant d’emprunts sur les marchés.

De la part de la Banque centrale européenne (BCE), enfin, la croisade antidéflation s’est traduite par une large ouverture du robinet à liquidités. En septembre, le taux d’emprunt des banques auprès de la BCE a été abaissé à son plus bas niveau historique, 0,05%. Problème : si ce taux quasi nul échoue à relancer le crédit, Mario Draghi pourrait se retrouver à court de solutions. A moins de briser un tabou, et de lancer un programme de rachat de dettes nationales. Une pratique officiellement interdite, mais que le président de la BCE a semblé envisager à mots couverts le mois dernier. 




DOMINIQUE ALBERTINI 11 DÉCEMBRE 2014

vendredi 5 décembre 2014

En Inde, l’environnement sacrifié à la croissance

Au nom de la croissance et de la relance des investissements, le premier ministre indien, Narendra Modi – au pouvoir depuis fin mai –, a décidé d'assouplir les règles de protection de l'environnement afin de faciliter la construction d'infrastructures et l'implantation de sites industriels.


La presse indienne vient ainsi de révéler que le Conseil national de la faune et de la flore a donné son feu vert, les 12 et 13 août, à près de 140 projets tels que la construction d'un barrage hydroélectrique et celle d'un oléoduc dans le nord-est du pays. Du jamais-vu en si peu de temps.

Ce déluge d'autorisations intervient quelques jours après un changement de gouvernance au sein de l'organisme. Les sièges traditionnellement réservés à cinq ONG de protection de l'environnement y sont désormais occupés par les représentants d'une agence environnementale dépendante du gouvernement de l'Etat du Gujarat, fief du premier ministre.

ON CONNAÎT DÉSORMAIS LA MÉTHODE 

De même, dix scientifiques aux compétences variées (de la faune maritime à la flore himalayenne) ont dû laisser leur place à deux experts spécialistes de la protection du tigre et de l'éléphant. « En l'absence d'un regard multidisciplinaire, le Conseil national de la faune et de la flore perd sa raison d'être. Les décisions ne serviront plus que des intérêts politiques », regrette Ritwick Dutta, avocat spécialisé dans le droit de l'environnement.

Comme ses autres collègues du gouvernement, le ministre de l'environnement, Prakash Javadekar, a été enjoint par M. Modi de limiter ses communications avec la presse. En juin, sur son compte Twitter, il s'est contenté de rappeler que « le développement et la protection de l'environnement de pair ». Et de justifier : « En délivrant des autorisations, nous allons nourrir l'environnement. »

On connaît désormais la méthode : des réformes discrètes plutôt que l'introduction longue et périlleuse de textes au Parlement. Pas de nouvelle loi sur la protection des forêts, donc, mais celle qui existe va être assouplie : les exploitants de mine n'auront plus besoin, dans certaines conditions, de demander l'autorisation des populations locales pour augmenter leur production. Beaucoup de ces mesures sont précisées dans des notes techniques aussi difficiles à déchiffrer que la pierre de Rosette, et sont présentées très discrètement sur le site Web du ministère.

DES RESPONSABILITÉS ACCRUES AUX ÉTATS RÉGIONAUX

Le gouvernement espère aussi accélérer le rythme de délivrance des autorisations en les regroupant dans un guichet unique, alors qu'aujourd'hui elles doivent être obtenues auprès de nombreuses autorités comme les comités de contrôle anti-pollution ou le Conseil national de la faune et de la flore. « C'est justement parce que chaque autorité est spécialisée qu'elle est compétente. Si on les supprime, l'environnement va en pâtir », redoute Himanshu Thakkar, du Réseau des rivières, des barrages et des populations en Asie du Sud.

L'autre stratégie mise en place consiste à confier des responsabilités accrues aux Etats régionaux. Ces derniers livrent plus volontiers bataille pour attirer les investissements que pour protéger l'environnement. Le gouvernement fait donc le pari qu'ils donneront facilement leur feu vert à des projets miniers ou d'infrastructure. Les Etats régionaux pourraient avoir le droit d'autoriser ou non l'ouverture de mines de sable dont la superficie est inférieure à 20 hectares, contre 5 hectares actuellement.

« Les inconditionnels de la croissance l'ont emporté. Ce que le gouvernement ne comprend pas, c'est qu'en détruisant les ressources naturelles, l'économie va en pâtir un jour », constate avec amertume Himanshu Thakkar. D'autres regrettent que la protection de l'environnement devienne le bouc émissaire du ralentissement de la croissance. « Le ministre de la défense bloque également de nombreux projets d'infrastructure au nom de la sécurité nationale », note Shibani Ghosh, avocate et chercheuse auprès du Centre for Policy Research, un think tank basé à New Delhi.

LE GOUVERNEMENT INTERPELLÉ PAR LA COUR SUPRÊME

Les ONG concentraient leurs maigres espoirs dans le sauvetage du Gange, fleuve sacré, ce qui lui vaut une attention particulière de la part du nouveau gouvernement (nationaliste hindou). Or, même cette promesse tarde à se concrétiser. Aucun plan n'a encore été dévoilé et la ministre des ressources en eau, Uma Bharti, s'est contentée de menacer d'une amende, voire d'une peine de prison, ceux surpris à cracher dans le Gange.

Un juge de la Cour suprême a violemment interpellé le gouvernement sur le sujet le 13 août : « Etes-vous en train de sauver le Gange ? C'était pourtant dans votre programme, alors pourquoi n'agissez-vous pas ? » Les juges ont donné deux semaines au gouvernement pour leur présenter un plan d'action détaillé.

Les ONG attendent enfin de connaître les attributions précises d'une nouvelle autorité indépendante, réclamée par des juges de la Cour suprême au début de l'année. Elle permettrait d'éviter les conflits d'intérêt lorsque c'est l'Etat qui demande lui-même une autorisation au ministère de l'environnement pour l'aménagement d'un corridor industriel ou d'une autoroute. La Cour suprême s'est toutefois contentée d'exiger de ce futur régulateur indépendant qu'il assure le suivi des projets approuvés et qu'il ordonne des sanctions en cas de violation des règles de protection de l'environnement. Elle attend une proposition du gouvernement d'ici la mi-septembre.

LE MONDE, 20.08.2014

En savoir plus sur http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/08/20/en-inde-l-environnement-sacrifie-a-la-croissance_4473723_3244.html#qDHZtgylHSQQB5kA.99

Etudes d’art : une année de prépa n’est jamais perdue

Par le titre d’un de ses romans, l’écrivain autrichien Peter Handke a popularisé « l’angoisse du gardien de but au moment du penalty ». Mais que dire de l’angoisse du parent au moment où son enfant s’engage dans des études d’art ? Première marche vers les écoles, la classe préparatoire artistique est une plongée dans l’inconnu. Et ce d’autant plus qu’elle est souvent coûteuse (quand elle est privée) et qu’elle n’offre pas d’équivalence avec l’université.


Risquée, la prépa artistique ? Sans doute. Mais elle permet tout de même d’acquérir des techniques, de mûrir un projet professionnel, d’approfondir sa culture générale… Que l’étudiant persévère ou non dans une carrière artistique, le temps passé n’y est donc jamais du temps perdu.

« Au lycée, on demande aux élèves d’apprendre, mais pas de structurer leur cerveau, affirme Anne Balas-Klein, l’une des responsables de l’Institut supérieur des arts appliqués (Lisaa), qui propose une année préparatoire. Nous réveillons des facultés endormies. »
« Quand nos élèves arrivent en début d’année, ils nous parlent de Voltaire et de Picasso, c’est à peu près tout » JACQUES FRÉZAL administrateur de Prep’art

Cours d’histoire de l’art, visites d’exposition, confrontation à des œuvres, incitation à la lecture… Jacques Frézal, fondateur et administrateur de Prep’art, voit dans cette ouverture un autre atout : « L’histoire culturelle est assez peu enseignée au lycée. Quand nos élèves arrivent en début d’année, ils nous parlent de Voltaire et de Picasso, c’est à peu près tout. »

Cantonner la prépa artistique à un rattrapage de luxe en culture générale serait néanmoins réducteur. « La prépa peut s’envisager comme le lieu d’amortissement du choc entre le rêve et la réalité », résume Anne Balas-Klein. Longtemps fantasmée, parfois idéalisée, la carrière artistique va être confrontée à l’épreuve des faits. « Nous cassons le rêve de l’artiste habité par la muse, résume Nicolas de Palmaert, graphiste et intervenant à l’atelier Hourdé. Pour la première fois, les élèves comprennent qu’en art, comme ailleurs, le travail paie. »
Les bases sont posées

Là où ils ne perçoivent souvent que le produit fini – l’œuvre d’art, le défilé de mode, le meuble vendu en magasin – ils découvrent ce qui lui précède. « En prépa, raconte Marie Bigot, 19 ans, ancienne de Prep’art aujourd’hui à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, j’ai par exemple compris que le design ne se limitait pas à celui d’un objet, que ce secteur était bien plus large et que des passerelles étaient possibles. »

Au-delà d’un savoir-être, le temps de la prépa est principalement celui de l’acquisition d’un savoir-faire. « Chez nous, ils apprennent la grammaire et le vocabulaire nécessaires avant de se lancer », estime Laurence Barjini, directrice de l’Académie Charpentier. Dessin, morphologie, perspective… Les bases sont posées. « C’est une année propédeutique, résume Nicolas de Palmaert. Que l’on se tourne ensuite vers le design d’objet, l’architecture d’intérieur ou la scénographie, les bases communes à ces métiers sont acquises en prépa. » Le tout en poussant les élèves à affirmer leur créativité.

Est-ce aussi le moment où le profil artistique commence à s’esquisser, notamment via le dossier préparé en vue des concours ? « Tout dépend de leur maturité, tempère Anne Balas-Klein. Il peut arriver de voir, au bout de quelques mois, se dessiner une personnalité artistiquemais il s’agit surtout d’apprentissages techniques. Certains n’auront pas encore trouvé qui ils étaient, et il n’est pas honteux de ne pas faire des étincelles au bout d’un an de formation. » Pour Vincent Villard, directeur de l’Atelier de Sèvres, en revanche, c’est indéniable : « Ils se découvrent artistes à ce moment-là. On le voit dans le cadre des dossiers qu’ils constituent pour entrer en école : les thèmes abordés sont des problématiques auxquelles ils reviennent ensuite. Dans tous les cas, la prépa leur permet d’aller au bout d’un désir. Même si ce n’est pas le bon. » Et donc de quitter le navire si l’on se rend compte du trop grand décalage entre ses projections et la réalité.

« Nous cassons le rêve de l’artiste habité par la muse» NICOLAS DE PALMAERT graphiste et intervenant à l’atelier Hourdé

Après une année chez Prep’art, Eugénie Asselin a finalement décidé de se tourner vers un BTS communication, tout en poursuivant, en parallèle, une carrière musicale après s’être hissée, avec son groupe, Oslo, jusqu’à la finale de Popstars en 2013. « En fait, la prépa m’a permis de m’ouvrir à mes autres passions, notamment la musique », explique cette jeune fille de 20 ans.

Eugénie Asselin a réinvesti les compétences acquises dans ses deux champs d’action. « Côté communication, je suis plus considérée comme une “créa”. Côté musique, comme nous sommes indépendants, je gère aussi bien la création d’affiches, les pochettes d’album que le stylisme. »

Pour Nicolas Lacroix, fondateur et président du cabinet de recrutement Junior Talent, cette créativité est exploitable dans bien des domaines : « Lors de réunions de réflexion, par exemple. Ou bien lors d’un entretien : le candidat peut aussi mettre sa culture générale en avant. Une ouverture de ce type induit une personnalité capable d’échanger, de discuter. Des affinités avec le design sont également valorisables dans le secteur digital, un domaine dans lequel on manque de diplômés. De toute façon, estime Nicolas Lacroix, le recruteur ne pénalisera jamais quelqu’un qui a tenté quelque chose. » Ouf ! Les parents respirent…

START, le salon des formations artistiques est organisé samedi 7 et dimanche 8 décembre à Paris, par "Le Monde" et "Télérama" : Une centaine d'écoles présentes, des performances et des conférences aideront lycéens et étudiants à s'orienter dans les domaines des arts, des arts appliqués, de l'architecture, du cinéma, de l'esthétique, de la mode et du multimédia. Aux Docks, Cité de la Mode et du Design - 34 quai d'Austerlitz 75013 Paris, Métro Quai de la gare, de 10 heures à 18 heures. Entrée gratuite, préinscription recommandée sur le-start.com/inscription

Le Monde.fr - 03/12/2014