jeudi 11 décembre 2014

La France en route vers la déflation ?

Le siège de la Banque centrale européenne à Francfort. Pour contrer la menace déflationniste, Mario Draghi a baisser les taux d'intérêt à leur plus bas historique, sans pour autant enrayer le phénomène. 

DÉCRYPTAGE
L’indice des prix a enregistré une nouvelle baisse en novembre, renforçant la perspective d’un scénario dépressif dans l’Hexagone et au-delà.


Ce n’est pas encore une réalité, plutôt une sorte de spectre planant au-dessus de l’économie européenne. Mais la menace déflationniste se précise. Publié jeudi par l’Insee, l’indice des prix à la consommation pour le mois de novembre enregistre une nouvelle baisse - prolongeant la tendance des mois précédents, et faisant écho à des statistiques similaires dans les autres pays de la zone euro. Une aubaine pour les consommateurs ? Non, plutôt les prémisses d’un scénario catastrophe qui inquiète tous les dirigeants en Europe et ailleurs.

QUELS SONT LES CHIFFRES ? 

Selon l’Insee, l’indice des prix à la consommation a baissé de 0,2% en novembre. Sur un an, il affiche une modeste hausse de 0,3%. Cette stagnation concerne la plupart des catégories de prix : produits manufacturés (-1,2% sur un an), alimentation (-0,2%), énergie (-1,1%)… Seuls les services enregistrent une hausse (+1,5%).

L’étude de l’Insee relève même un petit événement : la première baisse de «l’inflation sous-jacente» enregistrée depuis la création de cet indice, en 1990. Celui-ci «permet de dégager une tendance de fond de l’évolution des prix», explique l’institut. Il retranche en effet du calcul les effets de la fiscalité, ainsi que les biens et services dont les prix sont contrôlés par l’Etat ou qui présentent une forte volatilité - comme ceux de l’énergie ou des produits frais, largement fixés au niveau mondial. Résultat ? L’inflation sous-jacente recule de 0,1% sur un mois, et de 0,2% sur un an.


POURQUOI EST-CE INQUIÉTANT ? 

A première vue, cette relative stabilité des prix a de quoi réjouir les consommateurs. En réalité, elle renforce le risque pour l’économie française de tomber en déflation - c’est-à-dire dans une diminution générale et durable des prix. «Voilà déjà un moment que nous sommes en "désinflation", c’est-à-dire face à une inflation positive mais très ralentie, explique Mathieu Plane, économiste à l’OFCE. La déflation commencera lorsque l’évolution des prix sera négative sur une période significative. Il peut y avoir une bonne déflation : celle qui touche un certain nombre de produits importés, comme le pétrole. Mais celle vers laquelle nous nous dirigeons reflète avant tout une économie en stagnation, et des ajustements à la baisse sur les salaires et l’emploi.»

Selon l’économiste, la baisse des prix est liée aux politiques de rigueur budgétaire pratiquées en France et en Europe, et à la sous-activité que connaissent actuellement les entreprises. «Le niveau de chômage élevé pèse sur les salaires, explique Plane. A cause de la faiblesse de la demande, les entreprises baissent leurs prix pour récupérer des parts de marché. Mais c’est une mécanique dangereuse : pour préserver leurs marges, elles vont en effet avoir tendance à réduire les salaires ou leurs effectifs.» Qui plus est, la baisse des prix peut également inciter les consommateurs comme les entreprises à reporter à plus tard leurs investissements, en espérant payer encore moins cher dans l’avenir - avec les conséquences que l’on imagine sur l’activité.

Pour l’ensemble de la zone euro, la hausse des prix n’a été que de 0,3% en novembre. Et ce chiffre recouvre des situations plus préoccupantes encore : pour l’Espagne, novembre a été le cinquième mois consécutif de recul des prix. De son côté, l’Allemagne connaissait sa plus faible hausse de l’inflation depuis près de cinq ans (0,6%). Déjà éprouvé par le Japon, le scénario déflationniste préoccupe donc tous les responsables : du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker à celui de la Banque centrale européenne, Mario Draghi; en passant par les personnalités politiques nationales, telles que la députée socialiste Karine Berger.

QUELLES SOLUTIONS ? 

La prescription habituelle face au risque de déflation est une politique économique plus expansive. Mais la marge de manœuvre des Etats paraît réduite. «La France ne peut pas faire beaucoup plus de ce qu’elle fait déjà, juge Mathieu Plane. Les salaires résistent plutôt bien, les taux de marges des entreprises sont bas. Etre le seul pays en Europe à pratiquer la relance serait voué à l’échec.» En revanche, assise sur ses excédents budgétaire et commercial, l’Allemagne pourrait se voir prier de contribuer davantage à la relance de l’activité dans la zone euro. Une relance que la Commission européenne veut aussi encourager : elle a annoncé fin novembre un plan d’investissement de 300 milliards d’euros - l’essentiel de cette somme provenant d’emprunts sur les marchés.

De la part de la Banque centrale européenne (BCE), enfin, la croisade antidéflation s’est traduite par une large ouverture du robinet à liquidités. En septembre, le taux d’emprunt des banques auprès de la BCE a été abaissé à son plus bas niveau historique, 0,05%. Problème : si ce taux quasi nul échoue à relancer le crédit, Mario Draghi pourrait se retrouver à court de solutions. A moins de briser un tabou, et de lancer un programme de rachat de dettes nationales. Une pratique officiellement interdite, mais que le président de la BCE a semblé envisager à mots couverts le mois dernier. 




DOMINIQUE ALBERTINI 11 DÉCEMBRE 2014

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