vendredi 5 décembre 2014

Etudes d’art : une année de prépa n’est jamais perdue

Par le titre d’un de ses romans, l’écrivain autrichien Peter Handke a popularisé « l’angoisse du gardien de but au moment du penalty ». Mais que dire de l’angoisse du parent au moment où son enfant s’engage dans des études d’art ? Première marche vers les écoles, la classe préparatoire artistique est une plongée dans l’inconnu. Et ce d’autant plus qu’elle est souvent coûteuse (quand elle est privée) et qu’elle n’offre pas d’équivalence avec l’université.


Risquée, la prépa artistique ? Sans doute. Mais elle permet tout de même d’acquérir des techniques, de mûrir un projet professionnel, d’approfondir sa culture générale… Que l’étudiant persévère ou non dans une carrière artistique, le temps passé n’y est donc jamais du temps perdu.

« Au lycée, on demande aux élèves d’apprendre, mais pas de structurer leur cerveau, affirme Anne Balas-Klein, l’une des responsables de l’Institut supérieur des arts appliqués (Lisaa), qui propose une année préparatoire. Nous réveillons des facultés endormies. »
« Quand nos élèves arrivent en début d’année, ils nous parlent de Voltaire et de Picasso, c’est à peu près tout » JACQUES FRÉZAL administrateur de Prep’art

Cours d’histoire de l’art, visites d’exposition, confrontation à des œuvres, incitation à la lecture… Jacques Frézal, fondateur et administrateur de Prep’art, voit dans cette ouverture un autre atout : « L’histoire culturelle est assez peu enseignée au lycée. Quand nos élèves arrivent en début d’année, ils nous parlent de Voltaire et de Picasso, c’est à peu près tout. »

Cantonner la prépa artistique à un rattrapage de luxe en culture générale serait néanmoins réducteur. « La prépa peut s’envisager comme le lieu d’amortissement du choc entre le rêve et la réalité », résume Anne Balas-Klein. Longtemps fantasmée, parfois idéalisée, la carrière artistique va être confrontée à l’épreuve des faits. « Nous cassons le rêve de l’artiste habité par la muse, résume Nicolas de Palmaert, graphiste et intervenant à l’atelier Hourdé. Pour la première fois, les élèves comprennent qu’en art, comme ailleurs, le travail paie. »
Les bases sont posées

Là où ils ne perçoivent souvent que le produit fini – l’œuvre d’art, le défilé de mode, le meuble vendu en magasin – ils découvrent ce qui lui précède. « En prépa, raconte Marie Bigot, 19 ans, ancienne de Prep’art aujourd’hui à l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs, j’ai par exemple compris que le design ne se limitait pas à celui d’un objet, que ce secteur était bien plus large et que des passerelles étaient possibles. »

Au-delà d’un savoir-être, le temps de la prépa est principalement celui de l’acquisition d’un savoir-faire. « Chez nous, ils apprennent la grammaire et le vocabulaire nécessaires avant de se lancer », estime Laurence Barjini, directrice de l’Académie Charpentier. Dessin, morphologie, perspective… Les bases sont posées. « C’est une année propédeutique, résume Nicolas de Palmaert. Que l’on se tourne ensuite vers le design d’objet, l’architecture d’intérieur ou la scénographie, les bases communes à ces métiers sont acquises en prépa. » Le tout en poussant les élèves à affirmer leur créativité.

Est-ce aussi le moment où le profil artistique commence à s’esquisser, notamment via le dossier préparé en vue des concours ? « Tout dépend de leur maturité, tempère Anne Balas-Klein. Il peut arriver de voir, au bout de quelques mois, se dessiner une personnalité artistiquemais il s’agit surtout d’apprentissages techniques. Certains n’auront pas encore trouvé qui ils étaient, et il n’est pas honteux de ne pas faire des étincelles au bout d’un an de formation. » Pour Vincent Villard, directeur de l’Atelier de Sèvres, en revanche, c’est indéniable : « Ils se découvrent artistes à ce moment-là. On le voit dans le cadre des dossiers qu’ils constituent pour entrer en école : les thèmes abordés sont des problématiques auxquelles ils reviennent ensuite. Dans tous les cas, la prépa leur permet d’aller au bout d’un désir. Même si ce n’est pas le bon. » Et donc de quitter le navire si l’on se rend compte du trop grand décalage entre ses projections et la réalité.

« Nous cassons le rêve de l’artiste habité par la muse» NICOLAS DE PALMAERT graphiste et intervenant à l’atelier Hourdé

Après une année chez Prep’art, Eugénie Asselin a finalement décidé de se tourner vers un BTS communication, tout en poursuivant, en parallèle, une carrière musicale après s’être hissée, avec son groupe, Oslo, jusqu’à la finale de Popstars en 2013. « En fait, la prépa m’a permis de m’ouvrir à mes autres passions, notamment la musique », explique cette jeune fille de 20 ans.

Eugénie Asselin a réinvesti les compétences acquises dans ses deux champs d’action. « Côté communication, je suis plus considérée comme une “créa”. Côté musique, comme nous sommes indépendants, je gère aussi bien la création d’affiches, les pochettes d’album que le stylisme. »

Pour Nicolas Lacroix, fondateur et président du cabinet de recrutement Junior Talent, cette créativité est exploitable dans bien des domaines : « Lors de réunions de réflexion, par exemple. Ou bien lors d’un entretien : le candidat peut aussi mettre sa culture générale en avant. Une ouverture de ce type induit une personnalité capable d’échanger, de discuter. Des affinités avec le design sont également valorisables dans le secteur digital, un domaine dans lequel on manque de diplômés. De toute façon, estime Nicolas Lacroix, le recruteur ne pénalisera jamais quelqu’un qui a tenté quelque chose. » Ouf ! Les parents respirent…

START, le salon des formations artistiques est organisé samedi 7 et dimanche 8 décembre à Paris, par "Le Monde" et "Télérama" : Une centaine d'écoles présentes, des performances et des conférences aideront lycéens et étudiants à s'orienter dans les domaines des arts, des arts appliqués, de l'architecture, du cinéma, de l'esthétique, de la mode et du multimédia. Aux Docks, Cité de la Mode et du Design - 34 quai d'Austerlitz 75013 Paris, Métro Quai de la gare, de 10 heures à 18 heures. Entrée gratuite, préinscription recommandée sur le-start.com/inscription

Le Monde.fr - 03/12/2014 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire