jeudi 8 mai 2014

Vente d’Alstom : un sujet explosif pour l’Etat qui veut sauver l’ancrage français

François Hollande a réuni dimanche soir à l'Elysée Manuel Valls, Arnaud Montebourg et Segolène Royal. Le conseil d'administration d'Alstom "poursuit sa réflexion" et se donne jusqu'à mercredi matin pour informer le marché. D'ici là, le titre reste suspendu.



« On achète du temps. » C’est ainsi qu’à Bercy on justifiait hier le report du rendez-vous envisagé ce dimanche, entre Arnaud Montebourg et le PDG de General Electric (GE), Jeff Immelt, candidat au rachat de la branche énergie d’Alstom – soit plus de 70 % de son chiffre d’affaires. Mis devant le fait accompli par la révélation d’un accord imminent entre l’industriel américain et Bouy­gues, l’actionnaire principal (à 29,4 %) du fleuron français, l’exécutif français a tenté tout le week-end d’empêcher que le conseil d’administration d’Alstom n’entérine la vente dès dimanche soir. François Hollande a même réuni à l'Elysée le Premier ministre, Manuel Valls, ainsi que les ministres Arnaud Montebourg et Ségolène Royal "au regard des objectifs d'emplois, de localisation des activités et d'indépendance énergétique" soulevés par le dossier, indique un communiqué.

Tentative réussie. Le conseil d'Alstom, qui s'est tenu dimanche soir, n'a pas été conclusif. Dans un communiqué, le groupe indique simplement qu'il "poursuit et approfondit sa réflexion stratégique" et qu'il informera le marché d'ici mercredi 30 avril matin". Durant ce laps de temps, la cotation d'Alstom restera suspendue. "48 heures c'est à la fois beaucoup et insuffisant, reconnaît-on dans l'entourage d'Arnaud Montebourg. Cela devrait engendrer une saine émulation afin de nous permettre d'obtenir la meilleure offre pour Alstom".

Certains s’attendaient plutôt à une préférence donnée, sous une forme encore à déterminer, à l’offre ferme de GE qu’à la déclaration d’intérêt surprise de Siemens, tombée ce week-end . Le groupe allemand propose de reprendre l’activité Energie d’Alstom et lui transmettrait ses trains rapides ICE et locomotives. En butte à l’hostilité du patron d’Alstom, Patrick Kron, Siemens a veillé à travailler son offre avec Bercy et l’Elysée. Sachant pertinemment que la perspective de créer deux champions européens dans l’énergie et le transport pouvait sonner doux aux oreilles du chef de l’Etat qui avait appelé de ses vœux la constitution d’un « Airbus de l’énergie ».

Martin Bouygues était dimanche après-midi dans le bureau d’Arnaud Montebourg

Pour autant, Bercy ne veut pas avoir l’air de trancher dès maintenant pour l’un ou l’autre des acquéreurs. Chez Arnaud Montebourg, on se refuse à critiquer General Electric. « GE et Siemens sont deux investisseurs importants en France et des acteurs de premier plan au sein de notre tissu industriel », a indiqué le ministre de l’Economie hier. « GE, ce n’est pas Mittal, ils font des investissements tous les ans en France », dit-on dans son entourage, même si Jeff Immelt, qui espérait rencontrer François Hollande dimanche, devrait finalement être reçu par Arnaud Montebourg lundi, voire par le chef de l'Etat ultérieurement. En revanche, Martin Bouygues, lui, était dimanche après-midi dans le bureau d’Arnaud Montebourg.

Voir l’un des fleurons de l’industrie française passer sous pavillon américain ne peut que déplaire au ministre de l’Economie, héraut du « patriotisme économique ». Voir Alstom, sauvé de la faillite en 2004 par Nicolas Sarkozy, être vendu par appartements sous la présidence Hollande serait un symbole lourd de conséquences politiques . On ne veut pas pour autant, au gouvernement, avoir l’air d’écarter d’un revers de main l’offre américaine. D’autant que, souligne-t-on, « Siemens n’a pas réponse à tout ». Au sein même de l’exécutif, d’ailleurs, certains doutent de la faisabilité d’un accord avec le géant allemand. « Les solutions européennes ont déjà été recherchées et il y a eu beaucoup de contacts avec Siemens depuis deux ans, elles sont très destructrices d’emplois. ; les solutions miracle n’existent pas », estime une source gouvernementale qui trouve de meilleures complémentarités avec GE.

Vers un démantèlement dans les deux cas

Dans les deux cas, c’est bien à un démantèlement d’Alstom que les propositions vont conduire, L’examen des deux propositions, si GE et Alstom en laissent le temps au gouvernement, vont se focaliser sur les garanties données. Bercy sera « particulièrement ferme sur ses exigences de maintien et de créations d’emplois, d’investissement et de R&D en France, ainsi que le maintien des centres de décision en France », a prévenu Arnaud Montebourg.

Chez les industriels concernés, on veillait à ne pas prendre à la légère l’intervention de l’exécutif. Bouygues vit de commandes publiques et, à ce titre, n’ignore pas que l’Etat n’est pas dépourvu de moyens de pression. Sur l’emploi (9.000 salariés dans l’énergie pour Alstom en France), la négociation sera politique. Dans son plan de 1.300 suppressions de postes de l’automne dernier, Alstom a préservé la France en supprimant des postes en Allemagne et en Suisse, mais le rapport commandé par les représentants du personnel a pointé des surcapacités . Sur la localisation des centres de décision, une source proche des discussions évoque la possibilité de rapatrier de Suisse vers la France le siège mondial de l’activité Thermal Power d’Alstom, le cœur de métier du groupe. Un héritage des activités rachetées par Alstom à ABB.
Vigilance sur le nucléaire

Dans un courrier adressé au PDG d’Alstom auquel « Les Echos » ont eu accès , le PDG de Siemens, Joe Kaeser, qui demande d’entrer en discussion immédiatement, estime que la branche énergie vaut 10 à 11 milliards d’euros net. L’Allemagne ayant annoncé sa sortie du nucléaire, Siemens propose que le siège de cette activité reste en France et réfléchit au meilleur mode de contrôle possible (« carve out »). Il garantit zéro licenciement pendant au moins trois ans et pas de vente d’actifs.

Le gouvernement a aussi signalé son « extrême vigilance » sur « le maintien de l’excellence et de l’indépendance de la filière nucléaire française », un sujet pointé par le sénateur de Belfort, Jean-Pierre Chevènement . Alstom est de fait un fournisseur important d’EDF et Areva – le groupe doit réaliser des turbines pour les deux futurs EPR britanniques. Mais EDF, engagé dans une politique de diversification, est également en contrat avec GE pour diverses centrales.

Les Echos, 27/04/14

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