jeudi 23 janvier 2014

Doliprane, Efferalgan et Dafalgan au cœur d’une terrible bataille pour l’emploi

De Lisieux à Compiègne en passant par Agen les élus se mobilisent pour convaincre le gouvernement de ne pas toucher aux médicaments anti-douleur. La volonté des pouvoirs publics de permettre de substituer des génériques au Doliprane affecterait ses ventes. Une décision combattue par les laboratoires.

La volonté des pouvoirs publics de permettre de substituer des génériques au Doliprane affecterait ses ventes... - DR


Est-ce la préoccupation d’une libre concurrence entre les laboratoires pharmaceutiques et les fabricants de génériques qui va l’emporter ou bien le souci de préserver l’emploi chez Sanofi et BMS en France ? A l’heure actuelle, l’avenir du Doliprane, de l’Efferalgan et du Dafalgan est suspendu à la question : le pharmacien pourra-t-il, dans les prochains mois, un générique du paracétamol au Doliprane, à l’Efferalgan ou au Dafalgan mentionné sur la prescription ou bien continuera-t-il comme aujourd’hui à ne pas pouvoir le faire ?


Début décembre, à la suite d’une requête de l’Autorité de la concurrence, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) a engagé une instruction pour étudier la possible inscription d’un « groupe paracétamol » au répertoire des génériques, démarche nécessaire pour que le pharmacien puisse substituer le paracétamol aux produits de marque en contenant. Le cas du Doliprane, de l’Efferalgan et du Dafalgan constitue en effet une exception puisque le brevet les protégeant a expiré depuis longtemps, mais, lorsqu’ils sont prescrits, le pharmacien ne peut leur substituer un générique du paracétamol. « Un courrier a été adressé à Sanofi et à BMS pour qu’ils fassent part de leurs remarques », explique-t-on à l’ANSM. Les réponses qui doivent parvenir à l’Agence au plus tard le 6 février seront prises en compte par l’ANSM, qui rendra ensuite son verdict.


Si l’ANSM est la structure techniquement responsable de la décision, il est clair que le sort du Doliprane et consorts se joue ailleurs. Le chiffre d’affaires qu’ils génèrent (222 millions pour le Doliprane pour les neuf premiers mois de 2013) se trouvera en effet amputé si la possibilité de substituer est accordée. Au-delà de la procédure de consultation officielle, Sanofi et BMS ne restent pas les bras croisés. « Leurs directions des affaires publiques sont sur le pont agitant la menace des pertes d’emplois », raconte un syndicaliste. Y compris au plus haut niveau, au ministère de la Santé et à Matignon (contactés, ceux-ci sont restés injoignables). Et, dans la mesure où la fabrication et la distribution des trois produits concernés occupent plus d’un millier de personnes en France, dont les emplois sont menacés, les syndicats sont eux aussi engagés dans un lobbying très actif, notamment auprès des parlementaires.
Concurrence contre emploi


Si le pharmacien obtient le droit de substituer, Sanofi et BMS vont perdre des ventes, non pas tant du fait des écarts de prix (5 centimes par boîte de Doliprane) qui devraient de surcroît disparaître fin 2014 (un alignement sur le prix des génériques est prévu) qu’en raison du système dit des « marges arrière ». A prix égal, ce système rend plus attractive pour le pharmacien la vente de génériques. Leurs fabricants pourraient donc bénéficier du déplacement des ventes et accroître leur production, éventuellement en France, avec des créations d’emplois à la clef, mais qui ne compenseraient sans doute pas les suppressions chez BMS et Sanofi. Encore, faudrait-il d’ailleurs qu’ils ne soient pas contraints à une baisse de prix supplémentaire à l’occasion de l’inscription au répertoire des génériques. « La boîte de paracétamol vendue 1,90 euro au public est mise dans le circuit de distribution par les fabricants à 0,80 euro, ce qui rend difficile une baisse supplémentaire », explique-t-on au Gemme, syndicat qui regroupe les fabricants de génériques


Quant à l’Assurance-maladie, avec l’écart de prix actuel, le développement des génériques pourrait lui faire économiser une dizaine de millions d’euros sur les 276 qu’elle consacre actuellement au remboursement du Doliprane, mais, avec l’alignement des prix, cette économie interviendra de toute façon. L’amélioration de la concurrence sur le marché pharmaceutique français vaut-elle la perte de centaines d’emplois ? C’est cette question que devra finalement trancher le gouvernement.
Mobilisation maximale à Agen


« Nous demandons l’arbitrage du Premier ministre. Le gouvernement français ne peut arbitrer en défaveur de l’emploi sur notre territoire. Ce qui est vu par les Parisiens comme un simple arbitrage est explosif chez nous. Cette procédure doit être suspendue et nous demandons la création d’une mission interministérielle afin de trouver un équilibre », martèle le maire d’Agen, Jean Dionis du Séjour. L’usine Bristol-Myers Squibb (BMS) d’Agen produit 400 millions de boîtes de médicaments, dont la moitié de paracétamol sous ses marques Efferalgan et Dafalgan. Plus gros employeur privé d’un département peu industrialisé, le site emploie 1.400 salariés, dont 550 personnes directement concernées par le paracétamol produit et commercialisé sur place. Si la décision de l’Agence du médicament (ANSM) était appliquée, les fabricants de génériques seraient autorisés à proposer des remises de 17 % et même de 50 % aux pharmaciens, contre seulement 2,5 % pour ceux vendant les marques. Pour la direction de BMS, ce serait le scénario catastrophe. « Cela aura des conséquences sur l’emploi, mais aussi sur l’export, qui représente 40 % des produits fabriqués à Agen. Nos volumes étant moins importants, coûts fixes augmenteraient et nous serions moins compétitifs », insiste Benoît Gallet, vice-président des affaires publiques de BMS France. Dès lors, depuis le 6 décembre, date à laquelle Bristol-Myers Squibb a reçu la lettre dans laquelle l’ANSM explique son projet, ce sont aussi les employés qui sont mobilisés, craignent même « pour la survie du site », insiste Bruno Bourthol, représentant de l’intersyndicale : « Nous avons connu la même situation sur le marché espagnol et nous avons perdu 70 % du marché. » La députée Lucette Lousteau et le président du conseil général, Pierre Camani, député, ont écrit au Premier ministre pour lui faire part du « vif émoi » suscité en Lot-et-Garonne par le projet. Ils soulignent l’investissement de 230 millions d’euros du groupe industriel ces dix dernières années et insistent sur les « conséquences catastrophiques » de cette mesure, qui mettrait en danger les 3.600 emplois induits concernés par l’activité du site BMS d’Agen.

Catherine Ducruet et Frank Niedercorn

Source : Les Echos, 23/01/14

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