vendredi 14 février 2014

Inde: l'écologie industrielle prend corps avec les déchets électroniques

En Inde, une loi de mai 2012 sur les déchets électroniques a rendu les fabricants responsables de leurs produits jusqu'à la fin de vie. Stimulés par ce contexte légal, des projets d'écologie industrielle sont en train de voir le jour. Le principal défi reste de prendre en compte un secteur informel omniprésent.


« Nous voyons un potentiel énorme en Inde pour des projets d’écologie industrielle », affirme David Rochat, à la tête du développement des activités de Sofies, une société suisse de conseil en environnement spécialisée dans l’écologie industrielle. La raison ? Depuis mai 2012, les entreprises indiennes sont dans l’obligation de recycler leurs déchets électroniques, pendant le processus de fabrication mais aussi en fin de vie des produits. Ces nouvelles règles, les « e-waste rules », s’appliquent aux équipements informatiques et télécom, ainsi qu’aux biens électriques de consommation. Et donnent une nouvelle dimension à la question du recyclage. 

Synergies à trouver avec le bâtiment

Bien sûr, il s’agit d’abord de réutiliser les métaux précieux contenus dans les déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), comme le cuivre, l’or et l’argent. « Aujourd'hui, les déchets électroniques contiennent des métaux précieux 40 à 50 fois plus riches que ceux extraits du sol, c'est notamment le cas de l'or. Cependant, uniquement 15% de cet or est récupéré.», appuie Olivia Godeluck, directrice de Sofies en Inde. Mais ce n’est pas tout. « Des synergies sont également à trouver avec ce qui ressort des déchets électroniques. Par exemple, la poudre epoxy entre dans la composition de peintures utilisées dans le bâtiment ou peut servir de combustible dans des fours de cimenterie », poursuit la jeune femme installée à Bangalore.

Ces nouveaux projets pourront compter sur des ressources abondantes. Selon un rapport publié en août dernier par l’Assocham, l’association des chambres de commerce indiennes, les mégalopoles du sous-continent sont menacées de se transformer en véritables dépotoirs électroniques. Ainsi la ville de Delhi à elle seule a généré autour de 30 000 tonnes de DEEE en 2013. Le chiffre pourrait monter à 50 000 tonnes en 2015, Bangalore, Bombay et Chennai suivant de près, sans compter les quelques 50 000 tonnes de déchets électroniques illégalement importés dans le pays.

90% des déchets collectés par le secteur informel

En Inde, le recyclage passe par trois étapes assurées par des agents différents : la collecte, le tri, puis le recyclage proprement dit. La particularité du processus réside dans le poids très fort de l’économie informelle, notamment lors des deux premières étapes. « On estime que 90% des déchets sont collectés par le secteur informel », indique ainsi Olivia Godeluck. Pourtant, les « pollution boards », ces autorités régionales chargées du contrôle de la pollution, publient des listes de recycleurs agréés. Le problème, c’est que les coûts de fonctionnement de ces professionnels, bien supérieurs à ceux du secteur informel, ne leur permettent pas de racheter les déchets à un prix aussi élevé que leurs concurrents. « Du coup, les recycleurs officiels se plaignent de n’avoir pas assez de matière à traiter », complète la consultante en environnement.

La société suisse voudrait donc permettre aux entreprises de rediriger les déchets collectés par le secteur informel vers des opérateurs de tri agréés, pour revenir à un circuit légal… et plus sécurisé, notamment pour tout ce qui concerne le traitement. « Nous recevons beaucoup de soutien parmi les entreprises que nous avons rencontrées », assure Olivia Godeluck. Le contexte leur est favorable : la consommation de produits électroniques en Inde croît à un rythme soutenu, et le marché devrait être multiplié par 5 d’ici 2020. Les déchets devraient donc augmenter dans les mêmes proportions.

Economie circulaire sans le savoir

Dans les autres domaines en revanche, la situation est fort différente. « Aucune régulation spécifique n’encourage les pratiques de symbiose industrielle en Inde », indique Megha Shenoy, chercheure et consultante indépendante en matière d’écologie industrielle. Cependant, certaines usines ont déjà mis en place, sans le savoir, des pratiques d’économie circulaire. Megha Shenoy, a étudié le cas d’une zone industrielle près de Mysore, dans le sud du pays. « Nous avons trouvé que sur 45 entreprises présentes, 12 étaient déjà liées par des rapports d’écologie industrielle, rapporte-t-elle. Ces résultats sont très encourageants sachant que les entreprises ne font face à aucune obligation légale ». Mais comme toujours, la forte présence du système informel rend difficile toute quantification.

Car le chemin reste encore long avant de populariser l’écologie industrielle : « Pour le moment, les sociétés indiennes la considèrent comme une initiative environnementale sans voir les bénéfices, y compris économiques, qu’elles pourraient en retirer », témoigne Megha Shenoy. Mais pour Olivia Godeluck, la « Companies Bill », la loi votée l’été dernier qui oblige les grandes entreprises indiennes à consacrer 2% de leur bénéfice à des dépenses de RSE, pourrait changer la donne : « Les responsables RSE des grandes entreprises sont très enthousiastes. La ‘Companies Bill’ permet d’aborder l’économie circulaire avec plus de force et de pouvoir réfléchir à de nouveaux projets intéressants ».

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