mardi 29 juillet 2014

Du crayon rouge au délibéré, itinéraire d'une note au bac

Nicolas Gerboulet a rangé son crayon rouge. Les notes posées sur 120 copies du baccalauréat par ce professeur de philosophie ont rejoint la grande base du ministère de l'éducation. A peine une journée après le rattrapage du dernier lycéen, les services statistiques ont évalué à 87,9 % le taux de réussite au bac 2014 – un record – et cartographié la France bachelière. En amont, les notes mises par le professeur de philosophie du lycée Pierre-de-la-Ramée à Saint-Quentin (Aisne) ont vécu une véritable saga : les notes font, avant la proclamation des résultats, l'objet d'une série de discussions et, éventuellement, de corrections.












« En philosophie, les élèves ont composé le 16 juin. Le 17, j'ai récupéré mes 120 copies », se souvient M. Gerboulet. Pas question pour lui de se mettre d'emblée à l'ouvrage. Comme l'explique le recteur de l'académie d'Amiens, Bernard Beignier, « la correction du baccalauréat est un travail de cordée ; pas une randonnée en solitaire ». Le premier rendez-vous est la commission d'entente, le 19 juin. « En attendant, j'ai regardé les quatre copies tests numérisées par notre inspecteur, pensé une correction et une note », explique le professeur.

Ces copies tests sont la base de discussion des commissions d'entente. « Nous étions une trentaine dans mon groupe, tous correcteurs de la même série technologique. Chacun a mis ses notes au tableau pour les quatre devoirs. L'écart maximum était de deux points… »

COMMISSION D'HARMONISATION

Rassuré sur son degré de sévérité, chacun est reparti et Nicolas Gerboulet a étalé dissertations et commentaires de texte dans son appartement. Crayon rouge en main, il a annoté ses quinze copies quotidiennes. Pour la note, il a préféré le crayon à papier. « Une note prend son sens par rapport aux autres. Je peux revenir dessus après lecture d'autres copies. D'autant qu'une note au bac n'est pas une note d'année. Un 14 dans l'année – manière de dire à l'élève qu'il doit encore progresser – devient un 16 ou un 17 sur une copie de bac. On y note au vu des attentes de fin de lycée. »

Le 26 juin, pas question pour lui de rater l'autre grand-messe : la commission d'harmonisation. M. Gerboulet y est allé avec le relevé de notes de ses 90 premières copies corrigées. C'est là que l'inspecteur rappelle à l'ordre un correcteur égaré dans une notation trop stricte. Mais, dans la petite académie d'Amiens, deux paires d'yeux scrutent en amont les résultats. « Si un correcteur met des notes très en dessous ou très au-dessus des autres, nous alertons l'inspecteur chargé de la discipline. A lui de décider s'il y a ou non problème », rappelle Sophie Luquet, la responsable du service des concours et examens du rectorat.


Frédéric Kuncze, le responsable du bac, et elle ont à coeur que tous les élèves bénéficient d'un traitement équitable. Grands organisateurs de l'examen, ils sont sûrs de l'homogénéité des lots de copies car chaque paquet provient d'au moins 16 établissements. Ce qui devrait conduire aux mêmes moyennes pour chaque correcteur. Dans le cas contraire, et si un professeur refuse d'entendre les recommandations de son inspecteur, il a toute chance d'être « oublié » l'année suivante à l'heure des convocations au bac.

LA CHASSE AUX NOTES

Après cette commission, Mme Luquet commence vite sa « chasse aux notes ». « Pour s'assurer qu'on aura tout le lundi 30 juin, j'appelle ceux qui n'ont pas rempli leurs tableaux de résultats », ajoute-t-elle. C'est le moment où M. Gerboulet jette un oeil aux moyennes de ses confrères, pour voir si son 9,2/20 ne détonne pas.

Avant la journée de délibération du 3 juillet, moment crucial où les jurys décident du sort de chaque candidat, le recteur Bernard Beignier ne ménage pas son énergie. « J'ai réuni solennellement mes 300 présidents et vice-présidents de jury pour leur rappeler l'importance de leurs délibérations. Délibérer, ce n'est pas additionner des notes. Un jury prend des décisions qui auront des conséquences sur des destins. Je demande une attention particulière pour l'attribution des mentions, la décision de donner le bac ou non », ajoute-t-il.


Cette année, M. Gerboulet a effacé six notes sur ses copies durant les délibérations pour les monter d'un point. « Il est normal qu'un élève qui a 11,8 de moyenne et un bon livret scolaire puisse passer à 12 et décrocher une mention, et qu'un autre méritant mais à 7,9 de moyenne puisse avoir 8 pour tenter le rattrapage », rappelle l'enseignant. En la matière, le jury est souverain. Mais une fois le PV de délibération signé, rien ne bouge plus. Et les notes repartent pour la DEPP, la direction de l'évaluation de la prospective et de la performance, au ministère de l'éducation, à Paris.

« AVOIR UN PAYSAGE DU BAC »

Là, les bureaux 553 et 555 du bâtiment studieux de la rue Dutot sont sur la brèche. Sylvie Le Laidier surveille les colonnes qui se remplissent. L'académie d'Amiens, bonne élève, a donné tôt ses résultats. Les notes de M.Gerboulet sont prêtes à se mêler à celles venues de tout le pays, pour ressortir en taux de réussite, en nombre de mentions. Au fur et à mesure que le rattrapage avance, Mme Le Laidier flaire la tendance de l'année, repère aussi qui va être rappelé à l'ordre.

Mercredi 9 juillet, à 23h30, il lui manque les résultats du rattrapage en Martinique.« Sur les trente académies, il est bien rare qu'il n'y ait pas un problème. On a eu l'ouragan en Martinique une année, la foudre sur le rectorat de Nancy une autre », rappelle Catherine Moisan, la directrice.

A 13h30 – 7h30 en Martinique –, jeudi 10, un coup de fil permet de récupérer les derniers chiffres. « Après, ça va vite. On lance les programmes et on obtient notre taux de réussite, notre taux de bacheliers dans une génération et toutes les moyennes dont nous avons besoin pour avoir un paysage du bac », explique Mme Le Laidier.

C'est là que le « mammouth » – surnom donné à l'administration de l'éducation par l'ex-ministre Claude Allègre – devient gazelle. En deux heures, les quatre pages de la « Note d'information sur le bac » sont rédigées, le 10juillet, et la géographie du bac 2014 cartographiée. Dans le bureau de Mme Moisan, ils sont six à corriger le texte, choisir les graphiques et imaginer les cartes qui raconteront le mieux la session 2014. Ça va vite, même si un recomptage oblige à changer quelques pourcentages en catastrophe. Et même si l'ordinateur du maquettiste rend l'âme en plein bouclage, la note d'information sort à l'heure. En hommage aux 4 000 correcteurs qui ont sué sur les copies. Et aux 624 700 reçus de la session.

Maryline Baumard
Le Monde, 11 Juillet 2014

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