jeudi 7 août 2014

Allégement des cotisations salariales : les sages rectifient Valls

DÉCRYPTAGE
Le Conseil constitutionnel a retoqué mercredi soir une mesure phare du Pacte de responsabilité, qui devait redonner du pouvoir d'achat aux ménages modestes. Embarras à gauche.


Manuel Valls, lors d'un discours le 28 avril à Paris devant les acteurs territoriaux de l'Etat. Il y détaillait la nouvelle politique du gouvernement, évoquant notamment la future baisse des cotisations salariales. (AFP)

Une gifle. Le Conseil constitutionnel a rejeté mercredi soir une mesure sociale phare du gouvernement Valls, à savoir l’allégement des cotisations salariales pour les bas salaires. Qui précisément devait bénéficier de cette mesure, quelles conséquences, quelle marge de manœuvre pour le gouvernement? Réponse en quatre points.
En quoi consistait cet allégement de cotisations ?

Les mesures rejetées par le Conseil constitutionnel étaient incluses dans le pacte de responsabilité, grand chantier du quinquennat de François Hollande. Ce pacte prévoit des allégements de coût du travail pour les entreprises avec, en contrepartie, un effort (à négocier avec les syndicats) de la part du patronat, en matière d’embauches ou d’investissement. Mais Manuel Valls, juste après sa nomination à Matignon en avril, avait également annoncé des mesures en faveur des ménages. Parmi celles-ci était incluse une réduction de cotisations salariales (assurance vieillesse, assurance maladie), c’est-à-dire un allégement dégressif pour les salaires compris entre 1 et 1,3 Smic. En clair, le salaire brut restait inchangé, mais le salaire net augmentait du fait de cet allégement. Valls estimait alors à 500 euros, le gain de pouvoir d’achat par an pour les smicards. Le dispositif, d’un coût de 2,5 milliards d’euros, devait toucher 5,2 millions de salariés et 2,2 millions de fonctionnaires. Il devait entrer en vigueur le 1er janvier 2015.

En quoi cette mesure a-t-elle été jugée inconstitutionnelle ?

Selon les sages, cette proposition de baisse dégressive a été jugée «contraire à la Constitution», notamment parce qu’elle «méconnaît le principe d’égalité». Petit rappel du Conseil constitutionnel : les cotisations salariales d’assurance vieillesse et d’assurance maladie «sont des versements à caractère obligatoire, ouvrant des droits aux prestations et avantages […]». Or, ce projet de loi créait, selon les juges, une inégalité de traitement. Le même régime de Sécurité sociale aurait ainsi financé, pour l’ensemble de ses assurés, «les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales». Autrement dit, tous auraient reçu la même chose alors qu’ils n’auraient pas tous contribué au même niveau. Impossible juridiquement, pour des régimes dits «contributifs», à la différence des dispositifs dits de «solidarité», où ce que l’on reçoit n’est pas forcément lié à l’effort financier fourni.
En quoi est-ce un désaveu pour Manuel Valls ?

C’était l’une des rares mesures en faveur des ménages annoncée par Manuel Valls lors de son discours de politique générale du 8 avril, après sa nomination à Matignon. Pour faire taire les critiques à sa gauche et prouver qu’il y avait de la «justicesociale» dans le pacte de responsabilité, le Premier ministre avait ainsi fait de cette baisse de cotisations sa mesure phare de la loi rectificative de la Sécurité sociale. «Le pacte est aussi un pacte de solidarité, il doit améliorer le pouvoir d’achat des salariés les plus modestes […] c’est presque la moitié d’un 13e mois pour un salarié payé au Smic», avait-il détaillé devant les députés dans l’hémicycle le 8 avril, soit une semaine et un jour après son arrivée à Matignon. Cette mesure, Valls l’avait par la suite martelée à la radio, à la télévision, dans la presse… C’était un argument fort lancé en réponse aux députés «frondeurs» de sa majorité, critiques quant à l’efficacité de la politique économique du gouvernement. Un signe de décisions «équilibrées». Comme François Hollande avec sa taxe à 75%, le Premier ministre aura désormais beau jeu de faire remarquer que ce n’est pas la faute de son gouvernement, mais du Conseil constitutionnel si les salariés modestes ne bénéficieront pas de ce «coup de pouce». Reste qu’il lui faudra expliquer pourquoi ses services n’ont pas anticipé l’inconstitutionnalité d’une mesure si centrale… Et pourquoi ce gouvernement échoue une fois de plus à mettre en œuvre une mesure qui se voulait de gauche.

QUE VA-T-IL SE PASSER MAINTENANT ?

Dans la foulée de la décision des sages, les ministères des Finances et des Affaires sociales ont très vite envoyé un communiqué. Ils proposeront à la rentrée des «mesures alternatives de même ampleur» que les allégements de cotisations salariales censurés. Ces mesures de soutien au pouvoir d’achat viendront «amplifier» le «dispositif de baisses d’impôt déjà annoncé» par l’exécutif dans le cadre du pacte de responsabilité, est-il précisé. C’est-à-dire la baisse d’impôt sur le revenu, prévue à la rentrée pour les contribuables modestes, mais qui ne se chiffre qu’à un milliard d’euros.

Le ministre des Finances Michel Sapin, la ministre des Affaires sociales Marisol Touraine et le secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert, qui signent ensemble le communiqué, assurent que le gouvernement «reste déterminé à augmenter le pouvoir d’achat des salariés, et plus largement des ménages, à revenus modestes et moyens».

«On a été surpris par la censure, dans la mesure où le Conseil constitutionnel a fait évolué sa jurisprudence sur le sujet», glisse-t-on dans l’entourage du ministre des Finances publiques, Michel Sapin. «En 2007, ils n’avaient rien dit contre les baisses de cotisations, accordées dans le cadre de la loi Tepa, pour les salariés effectuant des heures supplémentaires». Quant à l’outil qui devrait remplacer cet allègement de cotisations censuré par les sages, «il sera connu le 24 septembre, lors du dépôt du projet de loi de finances 2015». Un dispositif qui accordera un gain de pouvoir d’achat de même ampleur, et qui pourrait passer par une baisse de la fiscalité ou un effort sur le RSA activité.

Libération, le 7/08/14

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