vendredi 22 août 2014

Vente de fruits et légumes: «le marché règne en maître»

Raymond Girardi, le secrétaire général du Modef, revient sur la situation des maraîchers français. Ce jeudi matin, le syndicat agricole organise une vente de produits au «prix juste» pour sensibiliser les consommateurs.

 

Comme tous les ans (ici en 2011), une vente de fruits et légumes frais directement aux consommateurs est organisée place de la Bastille.


Faute de prix rémunérateurs, le nombre de producteurs de fruits et légumes a été divisé par deux en quinze ans. C’est le constat alarmant du Mouvement de défense des exploitants familiaux, le Modef. Pour alerter l’opinion publique, le syndicat agricole organise son opération annuelle de vente à prix coûtant. Jeudi matin, dès 8 heures, cinquante tonnes de tomates, melons, poires ou pommes de terre débouleront dans la capitale, place de la Bastille, et dans la couronne parisienne. Le but : dénoncer «la concurrence déloyale» dont sont victimes les maraîchers français, selon Raymond Girardi, le secrétaire général du Modef qui accuse la grande distribution.
Vous défendez les paysans qui peinent à vivre de leur travail. La faute aux exportations?

La situation n’est pas nouvelle. Les maraîchers sont régulièrement confrontés à des difficultés en raison de la concurrence des pays comme le Maroc, l’Espagne ou encore ceux d’Europe centrale. Mais cette année, la crise est encore plus dure. Depuis six mois, les sociétés d’importation et les centrales d’achat recourent beaucoup plus à l’importation et n’achètent plus nos marchandises. Les productions de la saison estivale – les pêches, nectarines, salades – en pâtissent. La pression sur les prix est accentuée et les volumes de vente sont en chute libre. En France, les quantités sont globalement stables. Nous avons un peu plus de pêches et de nectarines que l’an passé, mais d’autres productions, comme la pomme de terre, sont à la baisse. En Espagne par contre, la hausse est plus marquée sur les fruits et les Espagnols ont tendance à brader leurs stocks à cause de la crise que subit le pays. Aujourd’hui, la double tarification (l’application à l’export d’un prix de vente plus faible que celui du marché national, pour être compétitif, ndlr) est pointée du doigt, mais c’est une tare que l’on traîne depuis des années, au même titre que les marges utilisées par les distributeurs pour nous racketter.
En quoi les marges de la distribution sont-elles «abusives»?

Les grandes enseignes sont des copies conformes. A l’exception de Super U, dont le comportement d’achat est plus respectueux, les cinq grands groupes leaders ont la même logique: toujours aller au moins cher. Ce sont des financiers! Les tomates importées, par exemple, sont achetées 40 ou 50 centimes le kilo. Ce prix est ensuite imposé aux producteurs français par les centrales d’achat. Or, pour que ces derniers s’en sortent, il faudrait, selon les cours, qu’ils les payent entre 75 centimes et un euro minimum. Les maraîchers français sont donc rémunérés en dessous de leurs coûts de production. Rappelons que la Politique agricole commune ne prévoit rien pour eux, sauf quelques exceptions sur des produits spécifiques: le pruneau, les tomates de conservation, la banane, le tabac. Le marché règne en maître.
Qu’est-ce que le «juste prix»?

C’est le prix maximum qui devrait être pratiqué dans tous les magasins de distribution sur les produits frais et de premier choix. Prenons l’exemple de la tomate vendue en petit volume. Son prix de vente devrait avoisiner le 1,5 euro le kilo. Cela permettrait de dégager une marge normale pour le producteur (90 centimes), payer le conditionnement (12 centimes) et le transport (5 centimes), le reste revenant au distributeur. Or, aujourd’hui, le kilo de tomates coûte entre 2 et 3 euros dans les rayons, au détriment des consommateurs et des producteurs.
Peut-on pour autant se passer de la distribution?

La grande et moyenne distribution représente 80% du marché des fruits et légumes. Le reste passe par les marchés et les petites épiceries. La part des circuits courts est très faible, environ 1%. Bien sûr, nous sommes pour le développement de la vente en direct, mais nous ne rêvons pas, nous savons très bien que cela restera marginal. C’est compliqué de gérer à la fois la production et la distribution. Dans les zones rurales, certains réussirent à le faire, en famille. Mais nous sommes d’abord des paysans, pas des épiciers. Le message a surtout une portée symbolique, c’est une manière de sensibiliser les consommateurs.
Quelles sont vos solutions?

La France produit entre 63 et 65% de ces besoins en fruits et légumes, alors qu’il y a trente ans, le pays était exportateur net. Un exemple: l’Espagne produit 300 000 tonnes de fraises par an et n’en consomme que 100 000. La France en produit seulement 25 000 tonnes, alors qu’elle a aussi besoin de 100 000 tonnes. Notre pays est pourtant béni des dieux pour l’agriculture ! L’enjeu central reste la limitation des importations. Certes, l’Etat n’a pas le droit de faire du protectionnisme et de fermer les frontières, mais d’autres moyens d’action sont possibles. Nous appelons notamment les autorités à agir contre les importations illégales sur le plan sanitaire. Aujourd’hui, chaque pays est maître de sa propre réglementation en termes d’utilisation de produits phytosanitaires. Or, la France est très en avance sur ce volet. Des centaines de produits reconnus nocifs ont été interdits au cours des trente dernières années. C’est une bonne chose pour les Français. Malheureusement, ils continuent à consommer des produits traités avec ces produits considérés comme illicites par la France, à cause des importations. C’est le cas du Lindane, un insecticide interdit depuis vingt ans, que de nombreuses firmes continuent de produire, et qui est donc utilisé un peu partout. C’est non seulement dangereux, mais c’est aussi une concurrence déloyale car ces vieux produits sont très efficaces et ne sont pas chers. Nous demandons qu’un cahier des charges plus précis des produits importés soit demandé par les autorités pour un meilleur contrôle.
Quel enseignement tirez-vous de la crise de l’embargo russe?

Certains ont tendance à en faire l’explication centrale, c’est un peu l’argument qui arrive juste à point. Il est clair que l’embargo russe est un handicap, mais la crise était déjà là. Reste que 750 millions d’euros d’exportation en moins, ce n’est pas rien. L’effet sera direct, puisque des marchés sont perdus, mais aussi indirect, car les autres pays européens confrontés à la même situation, vont nous inonder de leurs produits. La pression sera encore plus forte. En réponse, les 125 millions promis par l’Union européenne restent symboliques par rapport au préjudice. On parle tout de même de 12 milliards d’euros d’exportations françaises agricoles et agroalimentaires en Russie en moins.

Libération, 21/08/2014

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