jeudi 7 août 2014

Montebourg braque les métiers protégés

En s’attaquant aux monopoles ou aux tarifs de certaines professions réglementées, le ministre assure pouvoir favoriser les consommateurs et créer des emplois.

Arnaud Montebourg, le 28 mai à l'Elysée.

Les professions protégées ont du plomb dans l’aile. Pour «restituer» pas moins de 6 milliards d’euros de pouvoir d’achat aux ménages, le ministre de l’Economie, Arnaud Montebourg, a élaboré un plan précis : s’attaquer aux métiers dits «réglementés» en les ouvrant à la concurrence. Le 10 juillet, le patron de Bercy a annoncé un projet de loi pour la rentrée, visant à «redresser l’économie française». Et compte, pour ce faire, s’inspirer d’un rapport confidentiel de l’Inspection générale des finances (IGF), le corps d’élite des hauts fonctionnaires, remis en mars 2013 à son prédécesseur, Pierre Moscovici.

Le document, qui a fuité dans différents médias depuis le début de l’été, pointe du doigt une quarantaine de professions qui, sans justification économique, bénéficient d’une «rentabilité» plus de deux fois supérieure aux autres. L’ouverture à la concurrence doit permettre, théoriquement, de faire baisser les prix, de redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs, et donc, in fine, de pousser la croissance. Mais aussi, selon les calculs de l’IGF, de créer quelque 120 000 emplois supplémentaires en cinq ans. Sauf que les corporations visées n’ont pas dit leur dernier mot (lire pages 4 et 5). Explications sur une offensive gouvernementale contre des professions très organisées.

Qu’est-ce qu’une profession réglementée ?

Notaires, huissiers, pharmaciens, architectes, mais aussi plombiers ou serruriers : ces professions n’ont a priori rien en commun. Et pourtant, elles sont toutes protégées. Restrictions d’accès, tarifs administrés, privilège de certains actes : leur exercice est subordonné «directement ou indirectement, en vertu de dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession de qualifications professionnelles déterminées», selon la législation européenne. En France, il en existe plus d’une centaine, d’après le Centre international d’études pédagogiques, employant plus d’un million de salariés rien que pour les 37 métiers listés par l’IGF. Héritières de l’Ancien Régime, les professions réglementées constituent la forme moderne des corporations, ces corps de métiers apparus au Moyen-Age sous le nom d’«art», de «guilde» ou de «hanse». Abolies pendant la Révolution par la loi Le Chapelier du 14 juin 1791, elles sont remises au goût du jour sous le Second Empire, puis au lendemain de la Libération. Depuis, la plupart de ces professions n’ont pas bougé. Le statut actuel des huissiers et des notaires est ainsi établi par une ordonnance du 2 novembre 1945, qui fixe les limites de leur monopole. Leurs tarifs ont en revanche été modifiés par décrets successifs.

Pourquoi sont-elles dans le viseur de Bercy ?

Arnaud Montebourg veut s’attaquer à tous ceux qui «captent, par leur position, des revenus pour des services payés trop chers», afin de redonner du pouvoir d’achat aux Français. En tête des 37 professions à réformer, les métiers juridiques, comme les notaires, les huissiers, les greffiers des tribunaux de commerce, ainsi que les professionnels de santé, tels que les pharmaciens, opticiens ou encore dentistes. Des professions aux revenus très confortables, qui seraient 2,4 fois plus rentables que les autres métiers, selon le rapport de l’IGF dévoilé partiellement par le quotidien les Echos. Sur 100 euros versés par le consommateur, le bénéfice des huissiers atteindrait environ 43 euros et celui des notaires 37 euros, contre seulement 8 euros en moyenne pour les autres secteurs de l’économie. Des chiffres que contestent la plupart des corporations concernées. Au total, le chiffre d’affaires de ces professions atteint 235 milliards d’euros, pour un bénéfice de 42 milliards, et pèse 6,4% du PIB.

Qu’est-ce que l’IGF propose ?

L’une des réformes phares du rapport est l’instauration d’un principe de liberté d’installation pour toutes les professions. L’IGF préconise également la suppression des monopoles sur certains actes, notamment dans le domaine juridique. Début juillet, Arnaud Montebourg l’avait évoquée pour les huissiers de justice, sur la signification des actes de procédure et des jugements. Celle-ci pourrait se faire par lettre recommandée, beaucoup plus économique. Le monopole de la diffusion des documents comptables, aujourd’hui attribué aux greffiers des tribunaux de commerce, pourrait aussi être remis en cause, tout comme celui des notaires sur la rédaction des actes soumis à publicité foncière.

Dans le domaine de la santé, le rapport de l’IGF recommande d’ouvrir à la concurrence - comprendre aux supermarchés - la vente de médicaments sans ordonnance, et de supprimer le numerus clausus pour les étudiants kinésithérapeutes, infirmiers ou dentistes.

Pourquoi les professions résistent-elles ?

Pour les métiers juridiques, comme les notaires ou les huissiers, pas question de renoncer à certains actes, souvent très lucratifs. Idem pour les pharmaciens, qui redoutent un manque à gagner de 9% de leur chiffre d’affaires si la vente de médicaments sans ordonnance est ouverte aux grandes surfaces. Déjà en 2008, l’économiste Jacques Attali préconisait, dans son rapport remis à Nicolas Sarkozy, de réformer la profession en l’ouvrant à la concurrence. Avant de se heurter à la mobilisation - victorieuse - des pharmaciens. Et il ne fut pas le premier à avoir rencontré autant de résistances : en 1960, le rapport du comité Rueff-Armand, qui épinglait, entre autres, les pharmaciens et les chauffeurs de taxis, avait déjà provoqué l’ire de ce qu’on appelait à l’époque en France les «groupes d’intérêt», bien décidés à s’accrocher à leurs monopoles.

Sur la forme, le rapport de l’IGF exacerbe aussi les tensions : à défaut d’une publication officielle, c’est dans la presse que les premières bribes du rapport ont filtré. «Nous n’avons eu aucune proposition émanant du ministre de l’Economie ou de ses collaborateurs. Nous ne sommes pas destinataires, et nous n’avons pas eu connaissance du rapport», a ainsi dénoncé Jean Tarrade, président du Conseil supérieur du notariat, le 15 juillet, sur BFM TV. Les chiffres chocs évoqués, dont certains ont d’ailleurs été contestés par le ministère de l’Economie lui-même, sont jugés abusifs, notamment en ce qui concerne les niveaux de rémunération. La bataille ne fait que commencer.

Libération, le 7/08/14

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